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et sans foi, de se mettre directement en présence de la nation. J’en réponds, le jour où cet appel serait fait, il pourrait bien se trouver encore dans le pays des hommes uniquement fidèles aux souvenirs du passé, ou trop absorbés par les espérances de l’avenir, mais le plus grand nombre approuverait avec ardeur. Et quant à moi qui suis républicain, j’admirerais, j’appuierais, et mon appui serait d’autant plus efficace qu’il serait complètement désintéressé. (Mouvement prolongé.) »

Quand je m’assis au milieu de l’agitation de l’assemblée, je fus surpris moi-même de ce que je venais d’oser. Morny rayonnait ; les ministres se regardaient, se demandant : « Où veut-il en venir ? — C’est une perfidie, disaient les autoritaires. — C’est un discours ministre, chuchotaient ceux qui se croyaient matins. — C’est l’acte d’un honnête homme, disaient les braves gens. » Darimon, qui savait mon approbation sans réserve du Décret, ne fut pas surpris ; Picard était effaré, quoique très content de mon succès, Hénon de même. Jules Favre, après beaucoup d’éloges, me dit : « Vous avez été trop impérialiste, vous vous êtes mis en contradiction avec moi, » C’était la vérité. Au dehors, les irréconciliables levèrent les bras au ciel : Nous l’avions bien prédit ! Ce jeune homme ne nous inspirait pas confiance ; c’est un ambitieux vulgaire ; du reste, quand on a prêté serment au Deux Décembre, de quoi n’est-on pas capable ?

Le lendemain, à propos d’un incident de séance, sur le procès-verbal, Morny dit que je m’étais déclaré disposé à me rallier au gouvernement, malgré mes opinions républicaines antérieures, s’il persistait dans sa voie libérale. Le mot se rallier n’était pas la qualification propre de mon acte. Ce mot peut s’appliquer à une adhésion inconditionnelle ou intéressée. Or, rien ne ressemblait moins à ce que j’avais fait. Je m’étais pose en face de l’Empereur, d’égal à égal, m’investissant du mandat de représentant de la liberté, et je lui avais dit : « Je vous propose une transaction : quoique républicain, j’accepterai votre dynastie si, quoique Napoléon, vous accordez la liberté. » Il n’y avait là quoi que ce soit qui ressemblât au reniement de soi-même, qu’on exprime d’ordinaire par le mot se rallier.

Le concours que j’offrais devait rester désintéressé. Aucun doute sur le sens que j’attachais à ce mot : je refuserais d’être ministre, même si l’on adoptait mes idées. Je ne me suis engagé dans cette voie épineuse qu’avec cette ferme résolution. Pour le