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les soldats du duc de Savoie à sa solde, et de les incorporer dans ses troupes, Victor-Amédée répondait fièrement « qu’il n’était pas homme à vendre ses troupes au Roy, ny à qui que ce soit[1]. » Mais la négociation la plus délicate se poursuivait à Versailles sous les yeux du Roi, entre Torcy et Vernon. Torcy, qui naguère traitait de galimatias le langage de Victor-Amédée, lorsque celui-ci réclamait, d’une façon vague, quelque agrandissement, entamait avec Vernon, dans plusieurs longues conversations, la question des avantages que l’heureuse conclusion de la guerre pourrait rapporter à Victor-Amédée. Comme à l’époque des négociations qui avaient précédé la mort de Charles II, c’était toujours le Milanais que le duc de Savoie ambitionnait. Mais, Torcy ayant répondu « que les Espagnols sont si opposés à un démembrement que ce seroit les mettre contre soi que d’en parler, » Vernon, au nom de son maître, se rabattait sur le Montferrat et demandait que les droits héréditaires de Victor-Amédée sur cette possession du duc de Mantoue fussent reconnus de préférence à ceux du duc de Lorraine, pour lequel il serait facile à Louis XIV de trouver un dédommagement ailleurs[2]. Torcy entra dans ces vues, et les choses furent poussées assez loin pour qu’un projet de traité fût arrêté entre eux. Le préambule de ce traité, dont le texte est aux Affaires étrangères, portait : « Sa Majesté Très Chrétienne, voulant ajouter de nouvelles marques de son affection à celles qu’il a déjà données, et son intention estant d’augmenter encore l’étendue des estats de M. le duc de Savoye, etc., » et l’article 3 en était ainsi conçu : « Sa Majesté promet de travailler dès à présent efficacement, auprès de M. le duc de Mantoue, pour disposer ce prince à luy céder à Elle et au Roi d’Espagne, moyennant un dédommagement convenable, la souveraineté du Montferrat, que les Rois de France et d’Espagne transporteront aussitôt, avec tous les droits appartenant à cette souveraineté, à Son Altesse Royale pour en jouir, elle et ses successeurs, à perpétuité[3]. »

Le succès de la négociation dépendait donc du duc de Mantoue. Ce prince « pieux et charitable, écrivait Tessé[4], malgré trois cent soixante-huit maîtresses qu’il entretient, » était

  1. Aff. étrang., Corresp. Turin, vol. 110. — Phelypeaux au Roi, 26 mars 1702.
  2. Archives de Turin, Lettere Ministri Francia, mazzo 132. — Vernon à Victor-Amédée, 5 janvier-4 février 1702.
  3. Aff. étrang., Corresp. Turin, t. 111. Supplément. — Projet de traité entre Sa Majesté Très Chrétienne et Son Altesse Royale M. le duc de Savoye.
  4. Papiers Tessé. — Tessé à Chamillart, 2 nov. 1701.