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bonnes intentions à des conditions aussi peu raisonnables[1], » répliquait la Cour de Vienne, et, pour triompher de ces difficultés, elle prenait le parti, au mois de mai, d’expédier à Turin un personnage plus considérable que Salvaï. C’était le comte Auersperg, qui avait été longtemps l’ambassadeur de Léopold auprès de Guillaume III. Par une lettre qu’il chargeait Prié d’écrire à Auersperg lui-même, Victor-Amédée se félicitait du digne choix fait du comte Auersperg… per la conclusione del trattato alla quale si di chiara sempre pronta[2], et l’envoyé impérial ainsi agréé arrivait à Turin le 12 du mois de juillet.

Il semble qu’avant de s’engager dans une aventure aussi périlleuse, Victor-Amédée ait eu un moment, sinon de remords, du moins d’hésitation. En effet, la veille même du jour où Auersperg devait arriver à Turin, le comte de Gubernatis, un des ministres qui avait la confiance de Victor-Amédée et qui avait été précédemment employé par lui à la conclusion du traité du 6 avril 1701, fit demander un entretien à Phelypeaux et l’emmena dans un jardin particulier. Il lui dit en substance : « L’intérêt est le fondement des alliances ; la guerre ne paroît pas près de finir ; avec 30 000 hommes de troupes du Roi et 15 000 hommes du duc de Savoye, on pourroit mettre les Allemands hors de l’Italie. Mais il faudroit que le duc de Savoye, en reconnoissance des services rendus par lui, fût nommé à perpétuité gouverneur du Milanois. » « Le Milanois, ajoutait-il, n’est d’aucune utilité au Roy d’Espagne ; il ne sert qu’à l’avance et au luxe de ceux qui y viennent comme gouverneurs pour le laisser perdre. Un prince souverain résident en cet estat seroit une forte barrière contre tous ceux qui voudroient revenir en Italie[3]. »

Ainsi Victor-Amédée en revenait à l’éternel objet de son ambition, à cette mainmise sur le Milanais que, sous une forme ou sous une autre, il ne cessait de réclamer depuis trois ans. Si avancé qu’il fût déjà dans les voies de la trahison, peut-être eût-il été encore possible de le ramener en arrière. Mais Louis XIV crut devoir laisser cette ouverture sans réponse. « Vous garderés le silence sur cette première ouverture, écrivait-il à Phelypeaux, et, si M. le duc de Savoye ou ses ministres vous pressent de luy faire sçavoir mes intentions, vous répondrés que vous ne m’en avés pas

  1. Archives de Turin. Negoziazioni con Vienna, mazzo 6.
  2. Ibid., mazzo 6, no 5.
  3. Aff. étrangères, Corresp. Turin, vol. 112. — Phelypeaux au Roi, 11 juillet 1703.