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faisait effectuer à Turin, en un mot tout un ensemble de symptômes qui ne laissaient aucun doute sur les mauvais desseins de ce perfide allié[1]. Louis XIV finit par être convaincu, d’autant plus que les renseignemens fournis par Phelypeaux étaient corroborés par ceux qu’il recevait directement lui-même d’Angleterre et de Hollande et par le bruit public en Europe. Il le fut même au point de ne pas repousser de prime abord la proposition que lui fit Phelypeaux de faire arrêter Auersperg, quand il s’en retournerait par la route de Genève, comme il était venu, et de le dépouiller de vive force de ses papiers. Plusieurs dépêches furent échangées entre eux sur ce point[2]. Mais le séjour mystérieux d’Auersperg à Turin se prolongeait, au grand ennui de celui-ci, qui se plaignait dans ses lettres de la vie « d’ermite politique » qu’il était obligé de mener.

Victor-Amédée, en effet, hésitait toujours. Ce prince cunctateur, comme l’appelait Phelypeaux, renouvelait dans ses négociations avec Auersperg le jeu qu’il jouait autrefois avec Tessé, durant les négociations secrètes qui avaient abouti en 1696 au traité de Turin. Tessé allait jusqu’à prétendre dans ses lettres à Torcy que les entrevues avaient lieu dans la même maison. Ce n’était pas tout à fait exact, mais les procédés étaient les mêmes. Victor-Amédée se refusait à conclure, et, à chaque nouvelle concession, il répondait par de nouvelles exigences. Il demandait 100 000 écus une fois payés pour se mettre en état d’agir, et 100 000 écus de subsides par mois, la garantie de l’Angleterre et de la Hollande, et, en plus des territoires déjà concédés, la cession du Vigevanesque, à laquelle Auersperg se refusait, n’ayant point, disait-il, de pouvoirs pour cette cession[3]. Louis XIV ne sut pas profiter de ces lenteurs et de ces hésitations. Ce n’est pas qu’il ajoutât confiance aux assurances répétées de Vernon à Torcy que tous les bruits de traité entre l’Empereur et son maître étaient faux, que c’étaient des rumeurs malveillantes répandus par ceux qui voulaient détourner l’anima della Sua Maesta delle benefiche intenzioninelle quali Sua Altezza Reale ha sempre riposto et attualmente ripone ogni sua speranza. Il n’était pas dupe de ces assurances, pas plus que du démenti formel que Vernon opposait à la

  1. Aff. étrang., Corresp. Turin, vol. 112. Phelypeaux au Roi, 30 juillet 1703, et passim.
  2. Ibid., — Phelypeaux au Roi, 8 et 16 août 1703.
  3. Archives de Turin, Negoziazioni con Vienna, mazzo 6, no 8.