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vous me faites un plaisir infini de me dire que le Roi demande ce que je souhaite ; mais ce qui me met en peine (cecy, fait observer Phelypeaux, fut dit d’un ton moqueur), et modère ma joie dans le discours que vous venés de me tenir, est qu’il y a environ trois ans, vous me parlâtes dans les mêmes termes. Ils n’ont point eu d’effet… Mais, cette fois, ne vous trompés-vous point ? Avés-vous bien ordre de me dire que je demande au Roi ce que je souhaite ; » et, sur l’assurance réitérée de Phelypeaux : « Hé bien ! Monsieur, j’y penserai : la chose en vaut la peine. » Puis, pour mettre fin à la conversation, il demande sa Messe. « C’est comme il en use, ajoutait Phelypeaux, quand il a des affaires, puis il se retire promptement dans son cabinet, et met par écrit, luy-même et seul, ce qui luy a été dit et ce qu’il veut répondre[1]. »

A partir de cette conversation, il semble qu’un double mouvement, mais en sens inverse, se soit produit chez Victor-Amédée et chez Louis XIV, de rapprochement chez Victor-Amédée, et d’éloignement chez Louis XIV. Nous savons en effet que jamais Victor-Amédée ne passa par d’aussi cruelles perplexités que durant cette première quinzaine de septembre. Ses prévisions se trouvaient déjouées par les événemens. Il avait compté que les difficultés de la campagne de Flandre forceraient Louis XIV à rappeler 15 000 hommes de ses troupes d’Italie, et que, l’armée des Deux Couronnes opérant sa jonction avec celle de l’électeur de Bavière et de Villars par le Trentin et le Tyrol, le nord de l’Italie se trouverait presque entièrement dégarni de troupes espagnoles et françaises, ce qui lui permettrait d’agir librement. Or, la prise de Brisach, au commencement de septembre, assurait le succès de la campagne de Flandre, et, la jonction avec l’électeur de Bavière ayant échoué, l’armée des Deux Couronnes revenait camper à San Benedetto, près de Pavie. La terreur s’empara de Victor-Amédée. « Je vous dirai en peu de mots que le traité est rompu, écrivait Auersperg à Stepney, l’ambassadeur d’Angleterre à Vienne. Une sérieuse panique a saisi le duc de Savoie, et je n’ai jamais vu un homme qui a tellement perdu la tramontane tout à coup comme lui[2]. »

Tout le monde remarquait à la Cour l’abattement extrême de Prié. Il se plaignait que son maître, après l’avoir embarqué, l’abandonnait. C’est qu’il ne pouvait ignorer qu’en réponse à la

  1. Aff. étrang. Corresp. Turin, vol. 112. — Phelypeaux au Roi. 30 août 1703.
  2. The diplomatie correspondance of Richard Mill. London, 1845, t. Ier p. 10.