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ils étaient 25 contre 1. C’était une mer de visages noirs, au-dessus de laquelle planait un nuage de fumée qui montait en ligne droite dans le calme de l’atmosphère. Comme les Zoulous n’étaient qu’à quelques pas des chariots, les Boers n’avaient pas le temps de charger les fusils avec la baguette : ils plongeaient la main dans les monceaux de balles et de poudre disposés sur les planchers des wagons, et laissaient glisser les balles dans le canon. Après que les Boers eurent repoussé la quatrième attaque, il y eut un instant de répit. Les Zoulous semblaient comprendre que c’était une lutte sans espoir, ils restaient sourds aux ordres de leurs chefs. Les Boers profitèrent de cette hésitation pour devenir les agresseurs. Pretorius se mit à la tête d’un certain nombre de cavaliers et alla attaquer les Zoulous par derrière, pendant que le feu du laager continuait à les décimer par devant. Pris ainsi entre deux feux, les Zoulous se débandèrent et se mirent à fuir dans toutes les directions. 3 000 Zoulous restèrent sur le terrain, et, fait unique peut-être dans les annales militaires de tous les peuples et de tous les temps, il n’y eut du côté des vainqueurs que trois blessés !

Telle fut la fameuse victoire remportée par Pretorius sur Dingaan le 16 décembre 1838. Chaque année, les Boers célèbrent cette victoire comme leur grande fête nationale, en accomplissement d’un vœu qu’ils se transmettent de génération en génération. C’est à cette même date, le 16 décembre 1899, que les Boers remportèrent leur brillante victoire de Colenso, où 3 000 Anglais, chiffre fatidique, restèrent sur le terrain, tandis que les pertes des Boers se réduisirent à 4 morts et 14 blessés.

La journée de Bloedrivier (rivière de sang) marque la fin de la domination du plus barbare despote de l’Afrique australe. Dès le lendemain, Pretorius marcha sur la capitale de Dingaan ; mais, lorsqu’il y arriva, le 21 décembre, il vit des nuages de fumée s’élevant de toutes parts au-dessus de la ville abandonnée. Dingaan avait pris la fuite après avoir mis le feu à sa capitale. Quand les Boers y entrèrent, ils n’y découvriront pas un être vivant : toute la population avait disparu. Sur la montagne voisine, ils retrouvèrent, avec une inexprimable émotion, les squelettes de leurs malheureux compagnons que Dingaan avait massacrés dix mois avant, et qui portaient encore des lambeaux de vêtemens. C’était à ces lambeaux qu’un père pouvait reconnaître son fils, un frère son frère. Aux pieds des cadavres étaient attachées les grossières courroies avec lesquelles ils avaient été traînés jusqu’à la montagne,