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d’Italie ? Le beau est à nos portes : Chatou, Ville-d’Avray, Clamart, valent tous les horizons de l’Oberland ou de Taormine. Il n’est même pas besoin d’aller si loin : les fortifications, la banlieue, les couches, les gazomètres, un train de ceinture qui passe, un chiffonnier qui songe en son gîte, un « petit bourgeois qui peint sa porte en vert. » Voilà ce que l’art vraiment vivant doit représenter.

Les artistes ont écouté ces théories. Ils sont allés regarder les couches, le train qui passait, le petit bourgeois qui peignait sa porte en vert, — et ils les ont trouvés fort laids. Mais tout enflammés par les suggestions de la littérature, ils ont proclamé que c’étaient là des sujets très sortables, et qu’il fallait dorénavant s’y dévouer. Seulement, comme ils étaient réellement artistes, voici que, tout en peignant ces formes, ils se sont mis en devoir de les transformer entièrement.

A la vérité, la transformation n’était pas facile.

Puisqu’on ne voulait plus ni composition, ni arrangement, ni symboles, ni « stylisation, » puisqu’il fallait que l’art représentât des choses laides en soi, des lignes monotones ou prétentieuses, comment modifier l’aspect absurde et le décor trivial ? Un seul moyen restait aux réalistes pour s’évader du réel : la couleur.

La couleur, en effet, demeure dans le décor de la vie moderne aussi belle, aussi variée, aussi riche d’effets qu’aux plus grandes époques du passé. Le paysage d’aujourd’hui est aussi coloré que celui d’autrefois. Il l’est peut-être davantage, car l’industrialisme et le progrès, qui ont détruit tant de belles lignes dans nos campagnes, ont rarement supprimé de belles couleurs. Le plus souvent, au contraire, ils ont ajouté à la variété des teintes. Si vous observez, dans la nature, quelque paysage poussinesque, dont les maisons, les vide-bouteilles, les usines, un tramway, sont venus détruire l’harmonie linéaire, vous trouverez toujours que ces nouveautés ont accru la variété et l’éclat de son harmonie coloriste : les rouges des tuiles, les noirs fins des ardoises, les jaunes frais de la terre fraîchement relevée en talus ou les sections saignantes des terres rougeâtres, les verts beaucoup plus riches et plus variés des cultures maraîchères succédant à la monotonie de la grande culture, les blancs crus des viaducs neufs, les dos noirs des usines et même les tremblantes colonnes de leurs grises fumées, ajoutent à un paysage dévasté par l’industrialisme des colorations gaies que ce paysage, sans lui, n’aurait pas connues.