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voulait pas de rupture, car il était légitimiste respectueux du droit des souverains, et il n’oubliait pas les recommandations dernières de son père sur l’amitié à conserver avec l’Autriche et la Russie. Le « testament de Papa, » ces simples mots calmaient aussitôt ses mécontentemens.

Bismarck, fidèle à son prince jusque dans les moelles, ne sentait pas dans une goutte de son sang l’obligation de lever un doigt pour les autres princes : il tenait plus à justifier leurs défiances qu’à les dissiper ; diplomatiquement, il consentait à parler d’accord, pourvu qu’in petto cela signifiât guerre. Il insistait surtout sur la connexité de la politique intérieure et de la politique extérieure ; on ne devait pas les considérer isolément, car elles étaient en dépendance étroite l’une de l’autre. Il y avait contradiction entre la politique intérieure conduite par des ministres constitutionnels et la politique extérieure dirigée par la pensée légitimiste du roi, l’une libérale, l’autre conservatrice. Il fallait les mettre d’accord et rendre la politique extérieure aussi libérale, si ce n’est plus, que la politique intérieure. Il ne voyait pas d’autre moyen de se dégager des embarras parlementaires. « Les Allemands, disait-il, sont presque aussi vaniteux que les Français. Si on leur persuade qu’ils ont du prestige à l’extérieur, alors tout leur plaira à la maison. Au contraire, s’ils ont le sentiment que le moindre Wurtzbourgeois fait peu de cas d’eux, ils découvriront des maux intérieurs partout et ils donneront raison à tout folliculaire qui déclamera contre le gouvernement. »

Le Roi trouvait ces vues extrêmes, risquées, prématurées surtout. Néanmoins ce n’est pas ce qui l’arrêtait. Ses appréhensions provenaient, non de ce qu’était Bismarck, mais de ce qu’on le croyait être. On ignorait la transformation opérée dans ses idées, on ne savait pas combien il s’était converti aux nécessités constitutionnelles, détaché de l’Autriche, rapproché de l’idée nationale. Son nom signifiait dans le public, violence, réaction, coup d’État, haine de la démocratie et de la liberté. Le Roi redoutait que son entrée dans ses conseils ne fût considérée comme le prélude du renversement de la Constitution par la force et il ne voulait pas s’exposer à cette suspicion imméritée. Il le renvoya à Pétersbourg avec de bonnes paroles et fit venir de Londres Bernstorff. Celui-ci accepta de succéder à Schleinitz ; toutefois, flairant qu’il avait en réserve un successeur, il ne nomma personne à son ambassade afin de la reprendre à sa sortie du ministère.