bien comprise suffirait à créer une nouvelle génération d’hommes, consumé du désir de vérifier pratiquement le système par lequel il rêvait de régénérer sa nation, Stein apprit, de Mme de Meysenbug, que Wagner cherchait un précepteur pour son fils Siegfried, alors âgé d’une dizaine d’années. Sans hésitation, il se décida à entreprendre cette tâche, boucla ses malles, et, le 20 octobre 1879, franchit, pour la première fois, le seuil de Wahnfried.
Malheureusement le Journal de Stein, déjà très bref depuis
son départ de Berlin, s’arrête ici brusquement, pour ne reprendre
qu’en 1884, un an après la mort de Richard Wagner. Nous ne
possédons pas un mot qui nous instruise de l’impression que le
maître dut faire sur Stein. Au premier abord, je pensais que, pour
une raison ou pour une autre, ce dernier avait peut-être mis à
part les cahiers traitant de cette période ; — mais non, j’ai appris
que ces cahiers n’existaient pas, et je n’ai pu découvrir que
quelques lambeaux de papier avec les principales dates de ces
années, mais des dates seulement, ou par-ci par-là, un mot, un
seul, simple point de repère, destiné sans doute à remémorer
quelque conversation du maître ; — rien de plus ! Si, d’autre part,
nous considérons l’immense influence que Wagner exerça sur
Stein, influence qui, dès lors, se répercuta dans tous les actes de
sa vie, ce silence même peut paraître éloquent. Le Stein qui se
réveilla le matin du 21 octobre 1879 était un autre homme que le
Stein qui s’était levé le matin du 20. Dans son esprit et dans son
cœur, il s’était fait un grand silence, un silence religieux…
Personne ne pouvait rester insensible au charme de la parole de Wagner ; sa supériorité s’imposait à tous ; mais il fallait être soi-même un homme très supérieur, d’une envergure voisine du génie, peut-être aussi fallait-il certaines conditions d’éducation, et, — j’ajouterai, — certain hasard de jeunesse, pour être susceptible de l’impression, aussi soudaine que profonde, que fit, sur Nietzsche et sur Stein, la contact du grand homme. Une sérieuse culture, affinée dans le commerce des plus hauts parmi les écrivains de tous les âges, un cerveau puissant, d’une sensibilité docile aux impressions diverses, et capable de convertir en force active ce qui, chez la plupart, reste à l’état d’empreinte passagère,