préoccupations restent les mêmes : Giordano Bruno, rapports entre la pensée française et la pensée allemande, questions d’esthétique, essais poétiques, rien n’est changé dans la route qu’il a suivie et qu’il suivra encore ; rien, et pourtant tout !
L’art de Wagner, il le connaissait de longue date. J’ai parlé plus haut de l’impression que firent sur lui les Maîtres Chanteurs, en 1874, et, sur une page à demi déchirée de son Journal, je trouve ce cri d’enthousiasme : « Rienzi, Tannhäuser, Lohengrin, trilogie incomparable ! l’Iphigénie en Aulide de Gluck, oui, même le Macbeth de Shakspeare, reculent au second plan. » Et j’ai dit déjà que, sans rien exagérer, sa rencontre avec Wagner fut l’événement décisif de sa vie : dorénavant, le monde entier va lui apparaître sous un jour nouveau, c’est comme si un voile tombait de ses yeux. Stein, — l’esprit inquiet, tourmenté, qui suit une voie obscure, et qu’il ne comprend pas encore, Stein, dont la fiévreuse pensée va de la théologie aux théories électriques, passe de Kant à Dühring, Stein qui, dans un chapitre de sa Philosophie lyrique, invoquait Vénus et prétendait vouloir « se damner dans ses bras, » puis, dans le chapitre suivant du même livre, disait que le Moi est un être sacré, qu’il faut placer sur un autel, et dont il ne faut s’approcher qu’avec vénération, — Stein prend enfin possession de lui-même. Il lève haut la tête, car il sait d’où il vient ; et son regard s’éclaire, car il sait où il va. Lui qui s’était plaint d’être incompris des autres, il se rend compte, désormais, que c’est lui-même qui ne se comprenait pas. Au contact du génie, il sest trouvé lui-même. Doctrines, œuvres d’art, ce ne sont pas les manifestations diverses de ce génie qui l’ont enfin revêtu de la robe virile, c’est la révélation même du génie présent et tangible, c’est le fait d’avoir plongé son regard dans cet œil, d’avoir entendu cette parole : et, du coup, il atteint lui-même à sa pleine maturité.
Stein avait exploré les régions de l’abstraction la plus sublimée, ces espaces où l’air raréfié ne suffit plus à la respiration : il avait ensuite travaillé à la lueur aveuglante des forges souterraines où le mécanisme règne en maître : voici venir à lui un homme qui, sans être savant, paraissait tout comprendre, — un homme qui n’avait jamais pâli sur les métaphysiques, et dont pourtant la pensée dépassait de beaucoup celle des philosophes, un homme si peu versé dans les choses de la mathématique que c’est à peine s’il avait étudié la mécanique de son art, et qui produisait cepen-