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s’opposer, se combinent, et ce n’est pas le moindre talent de M. Humperdinck d’avoir su résoudre en harmonie un contraste qui pouvait devenir une contradiction.

Il y avait une fois en Allemagne un petit garçon et une petite fille qui s’appelaient Haensel (Jean) et Gretel (Marguerite). Ils habitaient avec leurs parens une chaumière au bord de la forêt. Un jour qu’ils étaient tout seuls, chantant comme des oiseaux et jouant comme des chats, ils burent une jatte de lait que la mère avait gardée pour le repas du soir. Et quand la mère revint, elle les gronda si fort, qu’ils se sauvèrent dans la forêt. Ils s’amusèrent d’abord à cueillir des fraises, à tresser des guirlandes de fleurs, à écouter le coucou et à lui répondre. Mais bientôt vint la nuit et, se voyant perdus, les pauvrets eurent peur. Alors passa l’homme au sable, qui les endormit sur la mousse, et du haut du ciel, par un escalier de lumière, les anges descendirent et les gardèrent jusqu’au matin. Puis, l’homme à la rosée les éveilla, et soudain ils virent s’élever de terre un palais de gâteaux. Ils commençaient d’en lécher les murailles, quand une ogresse en sortit : l’ogresse Grignotte, qui mangeait les petits enfans, non pas tout crus, mais rôtis et changés en pains d’épices. Haensel mis en cage, elle allait mettre Gretel au four ; mais Gretel était une rusée : ayant surpris les mots et le geste magique, elle délivra son frère, et l’ogresse, enfournée par les quatre petites mains, finit croquée à belles dents par Haensel et par Gretel, par leurs parens accourus et partout ce qui restait dans la maison de Grignotte de petits bonshommes de pain d’épices, redevenus vivans.

Sur cette histoire d’enfans et pour enfans, M. Humperdinck a composé de la musique pour enfans et pour grandes personnes. La facture, ou, comme nous écrivions plus haut, le « travail » de son œuvre est sensiblement wagnérien. Il l’est d’abord par la polyphonie : autrement dit par le grand nombre des instrumens, par l’orchestration complexe et quelquefois un peu grosse, un peu lourde aussi pour un sujet si mince et si léger. Wagnérienne aussi la symphonie, c’est-à-dire le développement. La symphonie joue ici un double rôle. Tantôt elle se déploie seule et libre : dans l’ouverture, qui n’est pas le chef-d’œuvre de la partition, dans les deux entr’actes excellons (la Chevauchée de la sorcière et la Maison de Grignotte), dans le touchant et vraiment admirable épilogue instrumental qu’est la veillée des anges autour des enfans endormis. Ailleurs, et presque partout, la symphonie accompagne l’action et le discours. Elle forme la trame qui, dans la musique de théâtre même, nous est devenue nécessaire, et d’où la mélodie et la