M. de Séipse répéta lentement ces mots, comme s’il en parcourait les précipices. Et je ne pus m’empêcher de lui dire : « Ainsi, voilà le terme de votre philosophie ? Je vois mieux désormais d’où vient la mélancolie désespérée qui vous anime…
— Ce n’est point une philosophie ; elle est sans doute ; c’est une foi très sombre. Je respire une peine infinie…
— Il faudrait que ce monde fût comme un enfer, ou qu’il fût détruit… ?
— Oui, monsieur. Je suis Pascal sans Jésus-Christ. Il me manque les miracles. Ils lui eussent peut-être manqué, aujourd’hui. Je l’envie d’être mort.
— Il y en a de faux et de vrais, dit-il[1].
— Mais il ne dit point qu’il n’y en ait pas[2]. Il lui est plus facile de prêter foi aux miracles des imposteurs, que de la refuser aux vrais ; et pour ne pas douter de ceux-ci, il croit même aux miracles des charlatans. « Ayant considéré, fait-il, d’où vient qu’on ajoute tant de foi à tant d’imposteurs qui disent qu’ils ont des remèdes, jusques à mettre souvent sa vie entre leurs mains, il m’a paru que la véritable cause est qu’il y en a de vrais[3]. » Pour conclure enfin, il pense qu’on croit de nature aux miracles. Or l’esprit en doute, de nature ; et la raison, de nature, n’y croit pas.
— Hé, laissez donc la raison, puisque la fin en est absurde.
— Ce n’est point que je ne la veuille laisser : c’est elle qui ne me laisse pas. »
Nous fîmes quelques pas dans la Solitude : c’est le beau nom d’un beau lieu, sous les arbres. Au haut d’un orme, un oiseau s’épuisait à chanter.
— Ce passereau a le bonheur, dis-je…
—… Jusqu’à ce qu’un milan lui donne du bec sur le crâne, et lui mange la cervelle.
— Qu’importe, s’il ne le prévoit point ?
— On ne le sait pas, fit M. de Séipse.
— L’homme seul n’est pas heureux.
— C’est qu’il sait qu’on ne peut l’être.
— Non : c’est peut-être qu’il s’ôte le bonheur.
— Où est la différence ? Qu’on lui ravisse le bonheur, ou qu’il