des soins, les coupables pour les sauver, et les lépreux pour les entretenir. Mais ce n’est encore qu’une charité sans passion. Pour sainte qu’elle soit, elle a toute sorte de limites ; elle est même basse, parfois ; car enfin il y a des degrés dans la sainteté même. Chacun est saint à sa manière, quand il l’est ; ou plutôt, chacun qui peut l’être, ne le peut que d’une manière seulement, qui est la sienne. On ne doit rien demander à personne que d’aller sur sa voie, jusqu’au bout ; et si c’est à deux pas, c’est qu’on n’a point de quoi fournir une marche plus longue. Il est admirable que toute égalité est vaine, si ce n’est devant la pensée unique qui nivelle tout, en réglant tout à son néant.
La plus belle route à la perfection et la plus difficile, où presque personne ne va, est celle que le cœur ouvre, dans l’ascétisme, à la passion. Et rien n’est si peu connu, car rien n’est si rare. La passion, rare en tout, l’est bien davantage quand elle se persécute pour décupler ses forces, et, quand elle les exerce uniquement afin d’en mettre la puissance doublée au service d’une amour parfaite. Ce feu de passion, elle l’alimente donc pour entretenir la flamme d’une lampe hors de toute vue, pour le plus grand nombre des hommes, et où tout l’égoïsme, incessamment renouvelé en sa source, ne brûle que de se consumer. Une fin presque divine est celle-ci : persévérer en soi-même au delà de toute mesure, pour soi-même s’immoler.
Les saints, en vérité, doivent en être tentés ; et s’ils ne sont pas séduits, c’est que la prudence les retient au bord de cet abime, où l’orgueil séjourne. Puis, ils n’ont pas en eux assez de cette force surprenante, pour en avoir assez l’intelligence. Elle les attire par son mystère, et leur fait peur, comme la séduction. Pascal est l’homme de cette fin presque divine. Il ne veut pas qu’on le range parmi les saints. Sa grandeur, pleine d’une humilité superbe, s’en confesse très indigne. Oh, que je le vois viser plus haut !… Et par ce qu’il voit, lui-même, au fond de son cœur, comme nul autre homme n’y a vu, ce grand chrétien s’emplit d’amertume ; et… il tremble.
L’ascétisme du cœur est l’exercice de l’homme qui dirige sa passion au terme de l’infini, et à ce terme seulement. De l’infini, il fait son objet unique, où toute cette passion s’applique, en tout moment. Là, un comble de passion sans cesse se dépassionne de tout et de soi, passionné d’une beauté unique, et d’une seule vérité, l’une ou l’autre étant la perfection.