allait vivre dans un commerce quotidien qui ne devait pas durer moins de quatre années, il s’est plu à analyser le caractère, dans ses Mémoires avec une grande largeur d’esprit et une modération bienveillante. Puis à ces traits gravés avec le burin de l’histoire, il joint un portrait de femme, esquisse d’un crayon plus fin. Son exemple m’encourage à faire comme lui en ajoutant seulement au tableau d’ensemble ce qu’il ne dit pas et ce qu’une réserve affectueuse ne lui a permis que de laisser entendre : c’est qu’il y eut alors non pas une seule, mais deux très grandes dames, placées par leur situation comme aux portes de la conférence, et dont l’influence s’exerça d’une manière sensible, sinon directement sur les décisions des négociateurs, au moins sur l’état de leur esprit et de leur âme. C’étaient la propre nièce de l’ambassadeur de France, Dorothée de Courtaude, alors duchesse de Dino, depuis duchesse de Talleyrand et de Sagan, et Dorothée de Benkendorff, princesse de Lieven, ambassadrice de Russie. L’action adroite et fine qu’on laissa prendre à ces discrètes conseillères, aura peut-être été le dernier hommage que, dans nos temps démocratiques, la politique aura rendu à la beauté et à l’élégance.
La Providence se plaît parfois à présenter aux regards des générations nouvelles, des figures qui semblent d’un autre âge et dont le modèle a depuis longtemps disparu. Rien assurément ne ressemblait plus, en 1830, à ces brillantes passes d’armes de la Fronde, qu’ont si poétiquement illustrées de nobles héroïnes, dont on ne peut raconter la vie sans mêler le roman à l’histoire, les Chevreuse, dont la séduction troublait Richelieu, les Palatine, dont Bossuet a sanctifié le repentir, les Châtillon enchanteresses qui luttaient de finesse et de ruse avec Mazarin, les Montbazon, dont la mort précipita Rancé dans le cloître, et surtout cette touchante sœur de Condé, pour qui un grave philosophe de nos jours s’est épris d’un tardif amour. Il était pourtant impossible de connaître, et même de voir la duchesse de Dino, sans penser qu’elle était de leur race et que, venue au jour trop tard de deux siècles, c’était dans leur compagnie qu’elle aurait dû naître et vivre. Elle les rappelait par un air de commandement sans hauteur, je ne sais quoi d’impérieux dans le regard et dans la coupe du visage, qui n’ôtait rien à la grâce, et une manière aisée de traiter des intérêts des Etats, sans paraître sortir de son élément naturel, et comme si c’eût été pour elle affaire de famille. Introduite à quatorze ans par sa mère, la duchesse de Courlande, dans