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comme l’école romaine se composait presque uniquement de grammairiens et de rhéteurs, c’est la grammaire et la rhétorique qui ont conquis la barbarie à la civilisation. Nous avons peine aujourd’hui à leur reconnaître une pareille efficacité. Rien n’est plus vrai pourtant. Quand, aux limites du monde connu, un pays sauvage se décidait à entrer dans le concert des nations civilisées, la première marque qu’il en donnait était d’ouvrir une école et d’y appeler un rhéteur :

De conducendo loquitur jam rhetore Thule.

Les Espagnols s’étaient livrés avec passion à ces études, ils se sentaient faits pour elles ; aussi, d’élèves, y sont-ils très vite devenus maîtres. À l’époque d’Auguste, Porcius Latro, un Espagnol, tenait la première place parmi les rhéteurs romains, et c’est pour un Espagnol, Quintilien, que Vespasien a fondé la première chaire publique d’éloquence.

Martial était de l’Espagne citérieure comme Quintilien. Bilbilis, sa patrie, dont il ne reste plus aucune trace aujourd’hui, devait être une assez petite ville, quoiqu’elle ait produit, en même temps que Martial, deux hommes distingués : Maternus et Licinianus, qui surent se faire une situation très honorable à Rome. Est-ce là que Martial fit ses études, ou dans quelque ville plus importante des environs, par exemple à Tarraco (Tarragone), la capitale de la province ? nous ne le savons pas ; mais elles durent être très brillantes. Plus tard, à ses heures de découragement et de tristesse, après que ses espérances de fortune eurent été souvent trompées, il regrettait qu’on eût pris la peine de lui donner une si bonne éducation. « Mes parens, disait-il, ont été bien sots de me faire apprendre la littérature. Qu’ai-je à faire de la grammaire et de la rhétorique ? » Et, comme un père de famille lui demandait un jour quels maîtres il devait donner à son fils : « Surtout, lui répondait-il, évitez les grammairiens et les rhéteurs. Gardez-vous qu’il ouvre jamais un livre de Cicéron ou de Virgile. Si, par malheur, il fait des vers, déshéritez-le. Veut-il s’instruire dans des arts qui rapportent de l’argent, qu’il apprenne à être joueur de cithare ou de flûte. Si son esprit vous paraît un peu lent et grossier, faites-en un crieur public ou un architecte. » Mais c’est plus tard seulement que le découragement est venu, et que Martial a maltraité ces belles études, sur lesquelles il avait compté, et qui ne le menaient