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pareil. — Tu as connu Atestinus et Civis ; ils plaidaient fort bien l’un et l’autre ; aucun des deux n’a pu gagner assez pour payer son terme. — Eh bien ! si l’éloquence ne produit rien, je ferai des vers. Je te les viendrai lire ; tu croiras que c’est du Virgile que tu entends. — Pauvre fou que tu es ! Tous ces malheureux que tu vois, qui grelottent dans leurs manteaux râpés, ce sont des Ovide et des Virgile. — Alors, je me produirai chez les grands. — Chez les grands ? C’est à peine si trois ou quatre y trouvent le nécessaire, le reste meurt de faim. » C’était la vérité, mais je crois bien que Martial aurait refusé d’y croire, et qu’il aurait répondu résolument, comme le jeune homme auquel il faisait la morale : « Que voulez-vous ? je suis décidé à partir. »

Il partit donc et arriva précisément à Rome à l’un des momens les plus sombres de l’histoire de l’Empire ; c’était l’année même du grand incendie où la moitié de la ville brûla. Il assista aux drames qui suivirent : à la mort de Néron ; aux révolutions qui donnèrent successivement l’empire à Galba, à Othon, à Vitellius ; au triomphe de la dynastie Flavienne. Qu’a-t-il fait, qu’est-il devenu au milieu de toutes ces catastrophes, pendant qu’on se battait dans les rues, qu’on faisait le siège du Capitole et qu’on y mettait le feu ? Nous l’ignorons absolument. Nous ne savons pas davantage comment il a vécu sous Vespasien. Comme nous n’avons rien conservé des ouvrages qu’il a composés à cette époque, seize ans de sa vie nous échappent tout à fait. Mais nous ne risquons guère de nous tromper en supposant qu’il faisait alors ce qu’il a toujours fait, ce qu’il était dans sa nature et dans ses habitudes de faire. Par exemple, nous pouvons être sûrs que, dès son arrivée, il a cherché à se glisser dans la familiarité de quelques grands personnages. On a conjecturé qu’il dut s’adresser d’abord aux gens de son pays, arrivés avant lui à Rome, et dont la fortune était faite. Le nombre en était assez considérable, et, selon l’usage, ils formaient, dans la grande ville, une sorte de colonie où le nouveau venu pouvait trouver quelque appui. Martial, pauvre, inconnu, n’a pas manqué sans doute d’user de cette ressource. Nous voyons que jusqu’à la fin, il est resté lié avec des Espagnols qui habitaient Rome, et qu’il a bien vécu avec eux. Il a souvent adressé des vers à Decianus, d’Emérita, un avocat qui était en même temps un philosophe stoïcien, mais un stoïcien prudent qui ne voulait pas qu’on le brouillât avec l’autorité ; à Canius Rufus, de Gadès, historien et poète à ses heures, causeur