amis, que c’est uniquement pour sa satisfaction personnelle qu’il chante leurs douleurs ou leurs joies, qu’il vit dans leur familiarité. S’il détaille les beautés de leur villa, c’est qu’on l’y a retenu, un jour qu’il passait pour aller ailleurs. Il vante les objets d’art qu’on admire chez eux, parce qu’il les a vus dans un dîner où on l’avait convié. Une fois même, il semble dire qu’il ne fait pas des vers pour tout le monde, et qu’il faut en être digne et en comprendre le prix. C’est qu’il a un grand sentiment de lui-même et qu’il respecte en lui la poésie épique, dont il est fier d’être un des plus nobles représentans. Songez que c’était un improvisateur de tempérament, presque de naissance, puisqu’il était Napolitain, et qu’il s’est imposé la tâche de composer une épopée qui lui a coûté douze ans de travail. Avoir fait la Thébaïde, c’est une sorte de dignité qu’il ne veut pas compromettre ; c’est une gloire aussi, qui, dans la hiérarchie de la poésie, doit le mettre au-dessus des simples faiseurs d’épigrammes. Il est assez naturel que cette haute opinion qu’il avait de lui, il l’ait fait sentir aux autres, et que Martial en ait été froissé.
Au contraire, Martial paraît s’être très bien entendu avec Juvénal. Dans une des pièces qu’il lui adresse, il compare leur amitié à celle de Thésée et de Pirithoüs, de Castor et de Pollux, d’Oreste et de Pylade. Comment avait pu se former une liaison aussi étroite ? Au premier abord on ne le voit guère et l’on ne saisit entre eux que des contrastes. Les personnes que l’un accable de complimens sont précisément celles qui déplaisent le plus à l’autre. On a peine à se figurer Juvénal écoutant tranquillement les épigrammes où son ami célèbre le Dieu Domitien, où il flatte si bassement ses serviteurs, et, parmi eux, ce Crispinus, métis de Grec et d’Égyptien, que le satirique ne se lasse pas de déchirer : Ecce iterum Crispinus. Le jugement qu’ils portent sur leur temps est tout à fait contraire. Tandis que Juvénal proclame « que la corruption est à son comble, et qu’il n’y a plus de progrès à faire ; qu’en fait de vice, il défie l’avenir de rien imaginer de nouveau, » Martial trouve qu’à tout prendre, le siècle où il vit est une époque heureuse, et que, si seulement on payait un peu mieux les poètes, il n’y aurait rien à souhaiter. « Quand Rome a-t-elle été plus glorieuse, plus tranquille ? Quand a-t-on joui de plus de liberté ? » C’est au point que Caton, s’il revenait, reviendrait césarien. Entre les deux, comme on le voit, l’opposition est complète. Cependant, en cherchant bien,