chercher pour la chasse. « Voilà, dit-il, comment j’aime à vivre ! voilà comment je veux mourir ! »
Mais ce bonheur ne dura pas ; il ne pouvait pas durer. Martial était revenu dans son pays aussi pauvre qu’il en était sorti. Or, à Bilbilis, comme à Rome, il fallait vivre. L’existence y était sans doute plus facile, mais nulle part on ne vit de rien ; et, pour se procurer ce qui lui était nécessaire, Martial, nous l’avons vu, n’avait qu’un métier ; il lui fallut donc continuer ce qu’il avait fait jusque-là, et chercher dans la petite ville ce qu’il n’avait pas trouvé à Rome, des protecteurs efficaces qui le mettraient à l’abri du besoin. Il en trouva quelques-uns, d’anciens amis sans doute, qui, dès l’abord, parurent bien disposés pour lui. C’était surtout Terentius Priscus, qui revenait de Rome, comme lui, et qu’il appelle son Mécène ; c’était Ælianus, qui lui fit cadeau d’un de ces chars qu’on appelait covinnus, c’est-à-dire d’une voiture légère, à deux places, que l’on conduisait soi-même, et où l’on pouvait causer librement avec un ami, sans craindre l’indiscrétion d’un cocher ; c’était enfin Marcella, une femme riche, distinguée, à laquelle Martial donne cet éloge qu’elle ressemble tout à fait à une Romaine de Rome, et que, lorsqu’il cause avec elle, il se croit transporté sur le Palatin ou au Capitole. Elle fut pour lui une patronne généreuse[1], et lui donna un jardin dont il nous a fait une très agréable description : « Ce petit bois, ces fontaines, cette tonnelle ombragée par une vigne, ce ruisseau qui promène capricieusement ses eaux vives, ces rosiers, aussi beaux que ceux de Paestum qui fleurissent deux fois l’année, ces légumes qui verdissent en janvier et ne gèlent jamais, ces rivières où nage emprisonnée l’anguille domestique, cette blanche tour que peuplent des colombes aussi blanches qu’elle, je les dois à Marcella ; c’est elle, c’est Marcella qui m’a donné ce petit empire. Si Nausicaa venait m’offrir les jardins d’Alcinoüs, son père, je n’hésiterais pas à lui répondre : J’aime mieux garder le mien. »
Par malheur ces bienfaits créaient pour lui des devoirs, et ces devoirs devenaient vite des chaînes. Il n’était donc pas aussi libre qu’il souhaitait l’être, et il ne lui avait pas suffi de quitter Rome pour échapper tout à fait à la servitude de la clientèle. Qui sait ? comme les usages romains se répandaient beaucoup dans les provinces, peut-être certains patrons de Bilbilis, pour se mettre à la
- ↑ Et non pas une épouse, comme on l’a cru.