de bal que les rebelles pouvaient être vaincus. La noblesse résolue à se battre se groupait autour des Condés, les seuls des princes qui fussent des soldats. M. de La Ferronnays, jugeant que l’heure des premières armes avait sonné pour son fils, venait le prendre.
Avant de s’engager tous deux, ils passèrent par Brunswick pour y voir l’évêque. En même temps qu’eux, arrivait dans cette ville une berline brune qui, sortie toute neuve de Paris et de France en 1791, portait, depuis lors, de séjour en séjour et d’attentes en déceptions, une famille d’émigrés. M. de Montsoreau avait été mêlé au projet de Varennes : familier des Tuileries, frère de Mme de Tourzel, alors gouvernante du Dauphin, il était parti, croyant précéder de quelques jours Louis XVI à la frontière. Il emmenait sa femme et ses deux filles ; la seconde est celle qui écrivait cinquante ans plus tard : « Nous prîmes la route de l’exil dans cette pauvre berline brune que je vois encore, très jolie pour le temps, avec ses panneaux et ses portières entourés d’arabesques d’or. » L’on avait des bagages pour un voyage de quelques semaines. Les fourrures étaient restées à Paris où l’on les retrouverait à l’hiver, et Mme de Montsoreau n’avait emporté qu’une saison de son missel pour une prière qui, selon le mot du marquis de Beauregard, devait durer vingt-trois ans. Il y a des époques où Dieu réserve ses faveurs à ceux qui ne l’invoquent pas. Les victoires des républicains poussaient devant eux la famille fugitive. « Nous étions à peine débarqués à Brunswick par d’affreux chemins où nous avions versé cinq fois avec notre pauvre berline brune qui n’en pouvait plus, quand un matin, au tournant d’une rue dont je ne me rappelle plus le nom, nous nous trouvâmes face à face avec les La Ferronnays. » Ce jour-là, les dix-sept ans d’Auguste, hier écolier, demain soldat, virent pour la première fois les douze ans de la petite fille qui s’appelait Albertine de Montsoreau.
Avez-vous suivi parfois du regard, à travers l’espace, ces fils légers qu’on croirait détachés d’un fuseau invisible, et qu’un souffle élève, abaisse, et emporte, images de nos destinées ? Parfois deux de ces fils se touchent ; les voilà joints au point de leur rencontre et désormais le vent les pousse ensemble ; autour de leur commune attache, leur souplesse s’attire, s’enroule, se mêle, bientôt ils ne forment plus qu’un. Ainsi flottaient, ainsi se touchèrent ces deux misères, ces deux jeunesses : désormais les