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affaires royales, qu’il entretient des informateurs en France et des représentans auprès des souverains étrangers, que l’aventure a pris l’apparence d’un gouvernement, il reste, marque indélébile, vice originaire, la persévérance dans les illusions. Tout garde un air d’irréalité. Tandis que l’Europe devient une plus grande France, que Napoléon règne sur l’une et sur l’autre, modifie la puissance des princes, les frontières des peuples, l’âme de la société, et renouvelle tout par un travail prodigieux et simultané de renversement et de reconstruction, dans un coin de ce monde en travail, un petit groupe d’oisifs est immobile autour d’un homme perclus, et l’homme perclus dit : « Rien n’est changé. » Ce petit groupe s’appelle une Cour, et appelle son chef le Roi. Il a de la royauté une puissance : il ne laisse pas arriver la vérité jusqu’à lui. Il ne peut rien contre les faits, que les ignorer ; il ne veut pas scandaliser ses yeux, il les ferme ; c’est le Prince au Bois Dormant.

Les hommes choisis par lui pour faire connaître son rêve de droit divin à « ses sujets » les Français, et à « ses frères » les monarques, invitent la France à oublier les changemens auxquels elle tient davantage, à chercher son avenir dans le passé, à revenir à la veille de 1789, et l’Europe à préférer un souverain sans puissance au dehors, sans parti dans ses propres Etats, mais légitime, à l’usurpateur qui, dans ces États, est tout-puissant, et au dehors, distribue les couronnes comme les autres souverains les sourires. Les informateurs chargés de faire parvenir au Roi les réponses de la France et de l’Europe sont des courtisans à distance : ils lui disent ce qu’il désire et entretiennent l’ignorance qui entretient son espoir. Tout occupé d’écrire ses notes et de lire les rapports de ses agens, et tout persuadé qu’il règle sur la sûreté de ses informations la sagesse de ses actes, Louis XVIII vit de sa pensée qu’on lui retourne, prend des échos pour des réponses, croit s’instruire en se trompant. Ce prétendant qui, assis devant sa table, examine et distribue ses papiers, a l’air d’un solitaire qui se ferait des patiences. Et la vue irritante de ce travail appliqué et stérile inspire à La Ferronnays ces lignes : « Au milieu des culbutes de l’Europe, le Roi et ses fidèles continuent leur paisible vie accoutumée. On dirait qu’un petit ressort, car tout est petit ici, fait remuer, parler, agir toute cette petite mécanique ; aux mêmes heures, chaque petit acteur a la même petite pensée, fait le même petit geste ; il n’y a de grand que l’importance qu’ils