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n’est pas une concession que je fais, c’est une déclaration, et une déclaration dont je suis heureux, car c’est pour qu’il n’y ait pas en France d’esprit militaire que nous voulons avoir une année de citoyens qui soit invincible chez elle et hors d’état de porter la guerre au dehors... S’il n’y a pas d’armée sans esprit militaire, Je demande que nous ayons une armée qui n’en soit pas une. (Rires et mouvemens divers.)

M. EUGENE PELLETAN. — Pas d’armée prétorienne !


Telle était la doctrine : elle se traduisait en votes. Lorsque à la fin de 1866 une commission instituée au ministère de la Guerre proposa un appel annuel de 160 000 hommes et la création d’une garde nationale mobile, l’Empire espérait s’assurer, par le vote de cette loi, 1 232 000 hommes bien armés, d(‘»s le quinzième jour qui suivrait une déclaration de guerre. L’opposition fut si violente que, de lui-même, il amenda son projet en réduisant à 800 000 le chiffre des contingens ainsi disponibles et en diminuant les obligations de la garde mobile en temps de paix. Ce fut d’ailleurs la seule victoire des adversaires de l’esprit militaire ; le projet, ainsi amputé, devait, en 1869, devenir une loi. Mais « l’histoire dira, elle a déjà dit, écrit M. Henry Houssaye, que les députés qui combattaient avec tant de passion ou tant d’imbécillité la grande réforme militaire du maréchal Niel eurent Leur part de responsabilité dans le désastre des armées impériales. »

Ce fut en effet un déchaînement de passion. La gauche, le 15 novembre 1868, se réunissait chez Jules Favre pour flétrir, dans le projet de loi, « une double menace contre la paix et la liberté, » et pour réclamer la nation armée et ayant seule le droit de déclarer elle-même la guerre. La garde mobile que souhaitait Niel aurait pu paraître, en quelque mesure, un acheminement vers l’établissement de cette armée de citoyens ; mais l’éducation militaire que Niel lui voulait donner indignait l’opposition. Des gardes nationaux astreints à faire l’exercice le premier et le troisième dimanche de chaque mois et à passer tous les six ans trente jours dans un camp ; c’est à quoi Ernest Picard voulait ramener la réforme. Jules Favre montrait avec scandale cette perspective d’une France entière disciplinée et n’étant plus qu’une caserne au lieu d’être un atelier. Fort dédaigneux des observations des spécialistes, — des prétoriens, comme l’on disait, — Garnier-Pagès, plus compétent qu’eux parce que représentant du peuple, brandissait l’exemple des 380 000 gardes nationaux de 1848, dont l’impressionnant