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de la Russie, toujours limitées dans une guerre de ce genre, mais par un nouveau soulèvement de tous les peuples allemands.

L’Empereur, dans sa réponse, ému peut-être de cette perspective d’un élan révolutionnaire à opposer en Allemagne à celui qu’il redoutait de voir se développer en France, rendait justice aux raisons de prudence militaire ou financière qui pouvaient faire hésiter le roi de Prusse à entrer en ligne, mais il lui rétorquait son argument en rappelant que c’était à lui à susciter en Allemagne un mouvement patriotique contre les prétentions françaises.

« D’après mon faible sentiment, disait-il avec une sorte d’ironie à l’envoyé prussien, vous n’avez pas fait tout ce qu’on doit faire dans un cas comme celui dans lequel nous nous trouvons, quand le feu est à la maison du voisin. Votre force réside dans la nation armée, la landwehr. Pour donner à la nation le sentiment de sa force et pour lui rendre facile de résister aux séductions de l’exemple dangereux qu’elle a sous les yeux, on aurait dû profiter de son organisation militaire ; on aurait dû armer la landwehr : rien ne dignifie l’homme autant que de sentir le poids des armes, et en même temps la discipline militaire corrige plus facilement les excès et le mauvais goût des avocats et des folliculaires qui se fait toujours sentir dans les provinces rhénanes, mais qui céderait devant l’esprit militaire. » Quant à lui, il ne doutait pas que sa nation, s’il lui faisait appel, le suivrait avec joie et qu’il serait en état, même sans le concours de l’Angleterre, de sauver tous les trônes du danger commun, en tout cas, il aimait mieux périr sur le champ de bataille que de se laisser enlever, l’un après l’autre, ses droits les plus légitimes. Enfin, il lui faisait entendre qu’il savait de science certaine que la prudence pusillanime du roi n’était pas partagée par tous ses conseillers et en particulier par toute sa famille. Le prince royal et surtout le prince de Prusse frère du roi (depuis, l’empereur Guillaume) pensaient comme lui et n’auraient pas répugné à prendre une allure plus décidée[1].

On racontait même en effet que la princesse Albert de Prusse, fille du roi des Pays-Bas, au milieu d’un repas de famille, s’était jetée aux pieds du roi, et le suppliant de ne pas faire cause commune avec ceux qui abandonnaient son père. Le roi la releva

  1. Droysen, Document cité, p. 601 et 603.