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lui, Favre, en son for intime libre de toute autorité, croyait être « la vérité et la justice » avait une portée supérieure à ces réalités historiques créées par ses ancêtres, conservées par ses concitoyens, éducatrices de son enfance, collaboratrices indispensables de toute son existence. « Nous oublions sans cesse, écrivait à la même époque Véricel, orateur d’une loge lyonnaise, que la maçonnerie n’a pas de nationalité ; nous autres, maçons français, nous restons toujours Français avant d’être maçons. » Véricel le regrettait ! Pour Véricel comme pour Favre, la suppression des frontières semblait une garantie de l’émancipation individuelle d’un chacun. Et la loge la Fraternité des peuples, avant de s’intéresser à la Ligue de l’Enseignement, convoquait Macé devant elle, parce qu’ « il paraissait à quelques-uns être Français avant d’être membre de l’humanité, tandis que, selon eux, ces termes devaient être renversés, » et Macé, apparemment, n’eut pas de peine à les rassurer. Ubi libertas ibi patria : la formule était énoncée, en 1868, par l’un des correspondans de la Démocratie, organe de M. Chassin. Une étape encore, et vous atteignez à la devise du poète latin : Patria est, ubicumque est bene. Il était réservé à un homme, qui est devenu, par la suite, l’un des hauts fonctionnaires du régime actuel, de franchir sans trembler cette suprême étape : dans son Catéchisme du libre penseur, publié à Anvers et dédié « à la Maçonnerie universelle, association internationale et fraternelle, force organisée, » il s’appropriera cette égoïste maxime, comme si elle devait être la devise des temps futurs, « où, le progrès aidant, les frontières seront abaissées, les guerres finies, et où on ne connaîtra plus que la Société. » Au terme de l’évolution commencée, et, si nous osons ainsi dire, au delà de l’effacement des frontières, il n’y avait en somme ni union ni fédération d’États, mais seulement des myriades d’individus ne relevant que de leur libre caprice et de leur pensée prétendue libre, détachés de tout groupement obligatoire, sevrés de tous droits réels parce qu’exempts de tous devoirs effectifs, et définitivement émiettés en une complète anarchie.


GEORGES GOYAU.