flotte devant Aboukir ; le ravitaillement en hommes et en matériel est désormais impossible, et moins de trois ans après, malgré l’énergie des- Kléber, Desaix et Menou, cette armée superbe se trouve réduite à un état de détresse lamentable. Minés par la faim, décimés par la peste, nos soldats disparaissent sous les efforts réunis des Turcs et des Anglais.
La perte du Canada, celle de la Louisiane, celle de l’Egypte, et la fin déplorable de l’armée du général Leclerc à Saint-Domingue n’ont été que les conséquences inéluctables des mêmes erreurs de conception stratégique : absence de toute base d’opération solide du côté de l’Océan.
Nous croyons donc pouvoir conclure que, si nous avons perdu dans le passé un empire colonial plus important que celui que nous avons aujourd’hui, c’est que la France, ou bien ne possédait pas alors la flotte nécessaire pour assurer à son profit la liberté des mers, ou bien, possédant cette flotte, l’a toujours détournée de son véritable but : détruire l’ennemi flottant, pour s’assurer la possession des grandes voies de communication.
En 1855, à l’époque de la guerre de Crimée, la flotte française est en tous points comparable à celle de l’Angleterre ; le vaisseau le Napoléon, conçu et construit par le génie de Dupuy de Lôme, est le roi de l’Océan. En 1859, l’apparition de la Gloire, que nous devons au même ingénieur, renverse toutes les conceptions de l’art naval et entraîne une refonte générale de toutes les flottes. C’est assurément, pour la marine française, le moment de se mettre sérieusement à l’œuvre et de conserver une avance qu’elle semble avoir acquise ; mais personne n’y songe. Napoléon III prépare par sa politique des nationalités l’unification de l’Italie et de l’Allemagne : il aboutit au désastre de Sedan, et, dès 1870, la flotte anglaise possède une sérieuse avance sur la nôtre.
Qu’avons-nous fait depuis lors ? Pendant plusieurs années, nous sacrifions la Marine sur l’autel de la Patrie[1], sous prétexte qu’elle coûte fort cher et qu’il faut combler le déficit d’une rançon de cinq milliards ; puis nous nous noyons dans les questions de la politique intérieure. L’anticléricalisme, les décrets de Jules Ferry, les lois intangibles,
- ↑ Ministères de l’amiral Pothuau, 1871, 1872 et 1878.