la société humaine n’a pas encore le bonheur dont jouissent les bancs d’huîtres : recevoir sa nourriture toute préparée de l’océan par le simple mécanisme du flux, il faudra se résigner à travailler encore un peu, mais en vue de « paresser. » M. Lafargue vaticine que, quand le collectivisme sera organisé, les ouvriers ne travailleront plus que trois heures par jour. Stiegler, dans ses Quatre écoles d’économie sociale[1], adopte le même chiffre fatidique.
En réponse à ces utopies, on peut constater avec M. Gide que, si les produits industriels croissent notablement avec les progrès de la science, les grandes découvertes scientifiques et leurs applications n’ont encore pu augmenter que très peu la production dans les industries qui répondent aux besoins premiers de l’espèce humaine. L’industrie agricole, qui est fondamentale, n’est d’ailleurs susceptible que d’un développement modéré ; l’industrie de l’édifice, si nécessaire pour la santé et pour la vie, est loin de se développer selon les besoins. Les difficultés de la production pour les choses utiles à la subsistance, c’est-à-dire pour les matières que l’organisme humain peut chimiquement s’assimiler, n’ont, sinon aucune tendance, comme le soutient M. Nitti, du moins qu’une faible tendance à diminuer. Ce fait maintiendra longtemps intense l’effort de la production, à moins que la science ne fasse quelque découverte inattendue pour fabriquer des alimens en abondance. Mais suffira-t-il, sous le régime communiste, pour faire surgir cette découverte, de la commander à l’escouade des chimistes travaillant trois heures par jour « en vue de la paresse » et de la « bombance ? »
Sous le régime de la liberté, tout fruit de l’épargne est un moyen de travailler qui engendre bientôt une nécessité de travailler, car la richesse inerte diminue progressivement et finit par devenir pauvreté. Le capital est donc constamment obligé de reproduire la richesse et, en conséquence, il est essentiellement producteur. Il n’est pas essentiellement consommateur, ni, comme on l’en accuse, « jouisseur. » L’abus accidentel, si fréquent qu’il soit, ne doit pas voiler l’usage essentiel. Au contraire, dans une société collectiviste, il y aura toujours des riches relatifs, mais en quoi consistera leur richesse ? En bons de « jouissance, » par conséquent en objets de consommation, alimens, vins, vêtemens, bijoux, etc. C’est alors que vous aurez des « jouisseurs, » puisque
- ↑ Genève, 1890.