L’idée qu’on se fait du temps, c’est qu’il faut le mieux connaître pour le vaincre. On a répandu l’heure, partout, sur les bracelets, les ombrelles, jusque sur les couvertures de voiture. Nos vêtemens sont ocellés d’horloges. Mais, en répandant l’heure, on l’a dépouillée de ses allégories.
Aucun dieu n’habite les horloges des deux gares récemment construites à Paris, ni celles qui flanquent les quatre côtés d’un phare aux abords de la gare de Lyon, ni celles qui, à la gare d’Orléans, s’ouvrent comme deux yeux monstrueux sur le fleuve et sur la cité. Elles n’ont même point le cadre décoratif du Gros Horloge de Rouen. Sans doute, ces machines sont assez suggestives par elles-mêmes. Pour les rendre majestueuses et terribles aux foules, il suffit qu’elles y puissent lire, clairement et de loin, leurs chances de prendre le train. — De même, nos montres. Elles n’ont plus le moindre ornement. Elles ne sont plus que des instrumens de précision, brillans et simples comme des armes. Les montres, du XVIe au XIXe siècle : marquises, à chaton rond, œufs, amandes, oignons, étaient compliquées et fragiles comme des joyaux. Si nous voulons trouver quelque outil aussi simple que les nôtres, il faut chercher, à la Rétrospective de l’Horlogerie, les montres solaires d’autrefois, en bois ou en ivoire. Le Progrès nous a ramenés à la simplicité ou plutôt à l’absence même de l’art décoratif. D’ailleurs, il faut bien le dire : l’idée quelquefois supplée à tout, et par exemple il suffit d’un souvenir tragique pour rendre plus « suggestive » que tous les chefs-d’œuvre du Petit Palais, cette pauvre montre d’acier du capitaine Paulin Ruelle, exposée dans la Rétrospective des Armées de Terre et de Mer, marquant encore, de son aiguille arrêtée, l’heure où la glacèrent les eaux de la Bérésina...
Si les dieux ont disparu, ils nous ont laissé du moins un enseignement : c’est que l’art décoratif ne doit exister que par et que pour l’objet qu’il décore. Du jour qu’il cherche autre chose, il périt.
Peu importe que cette décoration soit surtout architecturale, comme sous la Renaissance, ou purement sculpturale, comme sous Louis XV, ou mélangée d’intentions picturales, comme depuis. Pour qu’elle soit esthétique, il suffit qu’elle soit faite pour et soutenue