la fonction fût, dans les objets utiles, le critérium de la beauté. Selon cette thèse, le plus bel objet serait celui dont la forme définit le mieux la fonction. Cette théorie est séduisante, mais rien ne la vérifie. Un cadran blanc comme une lune présente mieux les chiffres qu’un cadran émaillé de bleu comme celui des horloges Louis XIV. Une aiguille droite comme une épée les marque mieux que l’aiguille de Gouthière, dont le bout éclôt en fleur de lis. Et, si la clarté de la fonction était la règle de l’art décoratif, il faudrait dire que l’Act Parliament Clock d’Angleterre, construite au siècle dernier pour échapper à des lois somptuaires, c’est-à-dire un immense cadran bien blanc, un mince cadre de bois, et des heures bien lisibles, serait plus décorative que toutes les pendules de Lepautre, où l’on a souvent quelque peine à démêler les chiffres. Cependant il n’en est rien. Les plus belles horloges de la Renaissance, les régulateurs les plus somptueux du siècle de Louis XIV, et les plus délicieux cartels où sonnèrent les heures tragiques de la Révolution, sont les derniers engins dont se serviront les médecins ou les astronomes. On lit mieux la mesure du temps sur la montre de Cluses ou de Soleure que sur une croix pectorale de Myrmécide ou sur un œuf de Nuremberg. L’admirable cartonnier-pendule qui est dans le cabinet du Grand Frédéric ne pourrait servir de cartonnier sans ébranler la pendule, et ni ses aiguilles, ni ses chiffres ne sont propres à doser minute par minute l’écoulement du présent dans le passé. Elle est bien cependant l’horloge qui convient entre la Camargo de Lancret et les belles dames couvrant de leurs satins les herbes. Les seigneurs du XVIIIe siècle ne la consultent guère plus que les dames ne consultent l’eau qui fuit, ni le soleil qui baisse. L’Art y est devenu le véritable objet du constructeur. Ce n’est guère plus une horloge que cette vasque du tableau de Lancret n’est une clepsydre. Et, quand nous considérons l’œuvre de Falconet, ces corps souples et fins, cette architecture sobre, cette grâce des fleurs et cette fantaisie des gestes, ce rajeunissement piquant de l’antique où le XVIIIe siècle se mire, nous voyons que le plus grand triomphe de l’art a été de faire une pendule qui marque tout dans la perfection, selon le mot de Diderot, excepté l’heure qu’il est.
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