« Du cousté de la Transmontane advola un grand, gras, gros, gris pourceau, ayant aisles longues et amples, comme sont les ailes d’un moulin à vent. Et estait le pennage rouge cramoisi, comme est d’un phœnicoptère, qui en Langue goth est appelé flammant. Les œilz avait rouges et flamboyans, comme un pyrope ; les oreilles verdes comme une émeraude prassine ; les denz jaunes comme une topaze ; la queue longue, noire comme marbre Lucullian, les pieds blancs, diaphanes et transparens comme diamant, et estait largement patte, comme sont les oyes, et comme jadis à Tholoze les portait la reine Pédauque... Le temps était beau et clair. Mais, à la venue de ce monstre, il tonna si fort du cousté gauche que nous restâmes tous étonnés. Les Andouilles, sitôt que l’aperçurent, jettèrent leurs armes et bâtons, et à terre s’agenouillant, levèrent haut leurs mains joinctes, sans mot dire, comme si elles l’adorassent. Frère Jean, avec ses gens, frappait toujours et embrochait Andouilles. Mais par le commandement de Pantagruel fut sonnée retraite, et cessèrent toutes armes. Le monstre ayant plusieurs fois volé et revolé entre les deux armées jetta plus de vingt et sept pipes de moutarde en terre : puis disparut, volant par l’air, et criant sans cesse : Mardy gras, mardy gras, mardy gras. »
La puissante et amusante imagination du conteur transforme ici, en une sorte de mythe, le froid symbole qu’on appelait au moyen âge Bataille de Charnage et de Quaresme, mais c’est bien le même symbole ; et le plaisir évident que Rabelais prend lui-même à son allégorie le trahit.
Aussi bien touchons-nous à la raison historique de l’indifférence relative avec laquelle ses contemporains ont accueilli son œuvre. S’ils n’ont pas pris le livre au sérieux, et si même ceux qu’il avait fait le plus rire lui eussent demandé volontiers, comme le cardinal d’Este à l’auteur du Roland furieux : « Et où diable, maître Alcofribas, avez-vous pris toutes ces... sottises ? » s’ils n’ont pas rendu justice à toutes les qualités de Rabelais, ni surtout à l’unique originalité de cette prose en même temps si réaliste et si poétique, si savante et si populaire ou populacière à la fois ; si Rabelais n’a pas laissé derrière lui de disciples ou d’imitateurs, si ses exemples n’ont pas fait école, c’est qu’à vrai dire, et pour tous les motifs qu’on vient d’essayer d’indiquer, l’inspiration générale ;de son livre — sauf en un point — contrariait les tendances de son temps. Représentatif d’un moment, mais d’un seul moment de la Renaissance, surtout de lui-même, Rabelais ne l’a pas été des « aspirations » de son époque, et si, de son vivant, sa gloire n’a pas égalé son génie, c’est précisément ou principalement à cause de cela.
Au moment où l’influence des femmes commençait à transformer