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l’apologie de la nature, telle du moins qu’il l’a faite ; et c’était trop tard ou trop tôt. Nous le verrons bientôt en étudiant Calvin. Ce que les réformateurs en général, et les calvinistes en particulier, les nôtres surtout, combattront le plus énergiquement de l’esprit de la Renaissance, nous pouvons le dire dès maintenant, c’en est justement le naturalisme, et sa tendance intérieure à l’émancipation des instincts. Là même est le motif pour lequel nous avons cru pouvoir nous dispenser de nous expliquer plus amplement sur la philosophie de Rabelais. Nous laissons à Calvin le soin de lui répondre ; et, déjà, ne l’a-t-on pas vu commencer ? Aux environs de 1550, Calvin avait d’ailleurs pour lui, catholiques ou protestans, tous ceux qui se souciaient de défendre la morale contre la croissante corruption dont l’esprit de la Renaissance n’était pas tout à fait innocent ou irresponsable. Mais se pouvait-il qu’ils n’eussent pas, comme lui, Rabelais en horreur, ou tout au moins en défiance ? Et les accusât-on, comme Rabelais lui-même l’a fait, de « cagoterie, » ou d’« hypocrisie, » — ce qui est toujours facile, — on ne saurait faire que cette défiance, ou de quelque nom qu’on la nomme, ne lui ait enlevé de nombreux lecteurs. S’il contrariait toute une fraction de la société de son temps, et la plus puissante ou la plus aristocratique, — c’était encore alors la même chose, — il en inquiétait une autre, et une plus agissante, sur les fondemens mêmes de la morale. Il ne lui restait plus, après cela, qu’à tourner les « lettrés » eux-mêmes contre lui, c’est-à-dire ses propres troupes ; et l’énigme est expliquée si c’est effectivement ce qu’il a fait.

On sait assez que les écrivains de la Pléiade n’ont guère aimé Rabelais, et, comme témoignage de leurs dispositions envers lui, on peut joindre à l’épitaphe de Ronsard, si l’on le veut, cette épigramme de Baïf :


J’ay, moy, nouveau Démocrit,
Ry de tout par maint écrit,
Que sans rire on ne peut lire,
Enfin la mort qui tant rit
Se riant de moi m’apprit
A rire d’un ris sans rire.


Elle est parfaitement plate, au moins ! mais elle est caractéristique. La Pléiade n’avait point désarmé. Et quelle est la raison de cette hostilité ? Celle-ci, tout simplement, que, si la Pléiade