navire et le garda prisonnier. L’hivernage, entrevu comme une possibilité à laquelle s’étaient préparés quelques membres de l’expédition, devint une nécessité pour tous. Toutes les précautions, d’ailleurs, avaient été prises, dans cette prévision, au point de vue de l’approvisionnement, de l’outillage, et de l’équipement. Les explorateurs étaient munis des vêtemens en usage chez les peuples des régions glaciales : tricots islandais, souliers de feutre, bottes en peau de phoque, gants faits en cheveux de femmes norvégiennes, les meilleurs qui existent, dit-on, et qui tiennent chaud alors même qu’ils sont mouillés. Ils avaient les longs patins, les skis, qui permettent la marche sur la neige, et des traîneaux pour le transport des provisions.
Les rapports de l’expédition, présentés à la Société royale de Belgique par MM. Lecointe, Arctowski et Racovitza[1], nous font assister à la vie que menaient les prisonniers de la Belgica. Les journées sur la banquise étaient loin d’être oisives : les occupations s’y multipliaient de manière à ne point laisser de place aux méditations inquiètes qu’auraient pu inspirer la tristesse du paysage, l’incertitude et les dangers de la situation. Et tout d’abord, il fallait se tenir prêt à lutter contre la banquise et à protéger le navire contre sa poussée. Au début de la longue nuit d’hiver de seize cents heures que les explorateurs ont eu à supporter, il y eut, un jour, une vive alerte. La glace qui entourait le navire fit entendre des craquemens sinistres, signe des énormes pressions qu’elle subissait : puis elle se brisa. Des blocs furent écrasés ; d’autres chevauchèrent les uns sur les autres. La membrure du navire tressaillit ; mais elle résista. Une plaque de glace, passant au-dessous de l’étrave, vint soulever l’avant, sans produire d’autre mal que de boucher le trou d’eau que les marins avaient percé dans la glace.
Il n’en fallait pas moins envisager la conjoncture dans laquelle on devrait ouvrir de force un passage dans la glace pour sauvegarder le navire ou lui permettre de s’échapper. Et, de fait, c’est bien là ce que l’on fut obligé de faire, à la fin. Après neuf mois de dérive capricieuse, la banquise prit une direction nettement déterminée vers l’Ouest. En prévision du voisinage de la mer libre, il fallut essayer de dégager la Belgica de la plaque qui l’enserrait. Tout le monde se mit à l’œuvre. Il s’agissait de creuser
- ↑ Expédition antarctique belge. Bruxelles, 1900.