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Richelieu avait foudroyé plutôt que gouverné les humains, un successeur doux, bénin, qui ne voulait rien, qui était au désespoir que sa dignité de cardinal ne lui permettait pas de s’humilier autant qu’il l’eût souhaité devant tout le monde, qui marchait dans les rues avec deux petits laquais derrière son carrosse… L’accès était tout à fait libre, les audiences aisées, l’on dînait avec lui comme avec un particulier. » L’arrestation du duc de Beaufort (2 septembre 1643) et la dispersion des Importans étonnèrent sans effrayer. Chacun gardait ses vastes espoirs. L’ancien parti de Marie de Médicis et d’Anne d’Autriche espérait revenir aux affaires, imposer la paix générale et substituer l’alliance espagnole à l’alliance protestante. Les grandes familles espéraient reprendre leur autorité aux dépens de celle du roi. Le Parlement espérait jouer un grand rôle politique. Le peuple espérait la paix ; on lui disait que la reine avait pris un ministre tout exprès pour la faire. La cour tout entière, du premier prince du sang au dernier des laquais, vivait du matin au soir dans l’espoir d’une grâce ou d’un présent, et il n’y avait de déçus que ceux, bien rares, qui n’avaient rien demandé, car « on ne refusait rien. » On donnait les dignités, les places, l’argent, ce qu’on avait et ce qu’on n’avait pas. La Feuillade disait qu’il n’y avait plus que quatre petits mots dans la langue française : — « La reine est si bonne ! »

Tant de bonheurs particuliers finissant par donner l’illusion d’un bonheur public, Paris avait témoigné sa satisfaction en s’amusant. Il s’amusait le jour, il s’amusait la nuit, avec l’extraordinaire capacité de plaisir qui l’a toujours distingué. Petits et grands « ne respiraient, dit Saint-Evremond, que les jeux et l’amour. » La Grande Mademoiselle avait gardé une grande reconnaissance à ces temps de joyeuse ivresse : — « Les premiers mois de la régence, dit-elle en ses Mémoires, furent les plus beaux que l’on pût souhaiter… Ce n’étaient que réjouissances perpétuelles en tous lieux ; il ne se passait presque point de jours qu’il n’y eût des sérénades aux Tuileries ou dans la place Royale. » Le deuil du feu roi n’arrêtait personne, pas même sa veuve, qui passait ses soirées au Jardin de Renard, le premier en date de nos casinos, et y acceptait des soupers. Le retour de l’hiver, en dépeuplant les promenades, ne ralentit pas l’élan universel ; Paris se contenta de changer de plaisirs : — « L’on dansa fort partout, poursuit Mademoiselle, et particulièrement chez moi, quoiqu’il