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la musique ! — dit Éthel. — Et moi aussi ! — répondit M. Lewisham. » Ils traversent les rues, ils passent devant le collège, où ils voient, à travers la fenêtre, le principal assis dans la chaire de son répétiteur. Et, devant la maison des Frobisher, enfin, ils se disent adieu. « Ainsi finit la première journée d'amour de M. Lewisham. »


Je n'ai pas résisté à la tentation de citer, presque en entier, ce prologue du nouveau roman de M. H. G. Wells. Les chapitres qui le suivent sont peut-être, cependant, d'un intérêt plus varié et plus instructif. Ils nous apprennent comment l'Amour a continué à contrarier les schémas successifs de M. Lewisham. Ils nous montrent le jeune homme installé à Londres, — car son principal l'a naturellement congédié dès le lendemain de sa promenade à ïmmering Common ; — ils nous le montrent poursuivant au South Kensington Institute ses études scientifiques, avec une ardeur qui lui vaut, outre l'estime de ses maîtres et de ses camarades, la tendre admiration d'une étudiante en lunettes; ils nous le montrent s'avançant d'un pas léger et sûr dans la voie nouvelle où il s'est engagé, jusqu'au jour où un irrésistible élan le pousse à sacrifier une fois de plus ses projets d'avenir, pour épouser Éthel, sa première amie, retrouvée par hasard après un long oubli. Et c'est alors un simple, vivant et touchant tableau des espoirs et des déceptions, des doux rêves et des tristes réalités de la vie d'un jeune ménage pauvre sur le pavé de Londres : un tableau si plein à la fois d'émotion et de vérité qu'il suffirait, à lui seul, pour faire de l'Amour et M. Lewisham un des plus beaux romans biographiques qu'ait produits la littérature anglaise depuis David Copperfield et Martin Chuzzlewit. Mais il y a, dans les chapitres du prologue que j'ai cités, — ou plutôt, hélas ! il y a dans le texte original de ces chapitres, — un charme tout particulier de fraîcheur juvénile ; le style même y est printanier, comme les sentimens et les paysages ; et, lorsque, d'un commun mouvement, le jeune homme néglige d'aller faire sa classe, et la jeune fUle d'assister au thé de Mrs. Frobisher, le lecteur en éprouve autant de plaisir que si, jamais encore, il n'avait lu l'histoire d'un premier amour.

Peut-être, seulement, plus d'un lecteur aura-t-il peine à croire que cette gracieuse idylle soit l'œuvre de M. Wells, l'auteur de la Machine à explorer le temps, de la Guerre des Mondes[1], et d'autres fantaisies

  1. Ces deux ouvrages de M. Wells ont été traduits en français, et fort bien traduits, par M. Henry D. Davray, qui nous donnera sans doute, bientôt, une traduction de Love and Mr. Lewisham.