tertres de bruyères rosées ou violettes, et cet ensemble résumait pour nous, dans un décor humain, tout le paysage d’Ecosse. Les propriétés seigneuriales font avec une incomparable noblesse les honneurs de la nature aux hôtes des châteaux.
L’excursion de l’après-midi nous conduisit à une ferme de Mrs B... On s’y arrêta pour le thé de cinq heures, que des bonnes, envoyées devant nous, avaient préparé et servi. La fermière accueillit sa « dame » à l’entrée et disparut ; mais, bien qu’elle n’eût pris aucune peine, Mrs B... voulut la revoir et la remercier de nous avoir reçus et prêté une salle de la maison. Cette politesse, que j’ai si souvent remarquée, n’a rien de factice. Un évangélique sentiment domine les rapports entre les classes, et jamais je n’ai vu service plus exact, plus empressé que celui de ces jeunes bonnes à qui leur maîtresse dit simplement : « Ne pensez-vous pas qu’il est temps de faire atteler ? » ou : « Je crois que vous pouvez apporter le café. »
Au départ de Blair-Atholl, nous traversons la région centrale des Highlands. C’est la désolation absolue : des lieues et des lieues sans un village. Encore est-ce la partie la moins déserte et la moins sauvage, puisqu’elle est coupée du chemin de fer. Mais ailleurs on peut, paraît-il, marcher trois jours sans trouver une maison. Notre train va lentement, entre des montagnes violettes, sous la mélancolie des écharpes de brume. Parfois un filet d’eau tombe en cascade et ravine la pente abrupte. C’est dans ce rude paysage de bruyère et de brouillard qu’il faudrait entendre l’aigre pibrok des Highlanders. Je comprends l’énergie de cette race, son détachement des choses qui la fit chevaleresque, son élan religieux et le tour pratique qu’elle donna toujours à ses visées spéculatives. Dans les douceurs d’un ciel indulgent, l’homme se laisse vivre. Il s’éveille aux violences de la nature et le problème s’impose d’ordonner sa vie. Les philosophes écossais ne perdirent point contact avec la réalité : ils aimèrent mieux s’évader d’une critique captieuse dans la doctrine du sens commun. Mais la théologie surtout convient à ce double souci de la pensée et de la conduite. Il y a un théologien dans chaque paysan écossais. Ce goût raisonneur dut favoriser singulièrement le succès de la réforme puritaine, qu’un ardent désir de bien vivre sauva de la dissolution rationaliste.
Je touchais au point le plus reculé de mon voyage, à ces Highlands de l’Ouest qui projettent dans une mer noyée de brumes