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cœurs. M. le Président de la République n’a pas été étranger à ces manifestations : il en a donné personnellement le signal par les discours qu’il a adressés, à Cherbourg et à Marseille, à nos troupes qui partaient pour la Chine. Jamais il n’avait été mieux inspiré. A Marseille en particulier, M. Loubet s’est élevé au-dessus de la circonstance immédiate qui l’y avait appelé, à savoir le départ de nos soldats, pour parler des rapports permanens qui doivent exister entre l’armée et la nation. « Je suis venu, a-t-il dit, pour dissiper cette équivoque criminelle que l’esprit de parti essaie de faire naître et qu’il voudrait perpétuer, en cherchant à creuser un fossé entre l’armée et la nation. Tentative monstrueuse qui échouera, qui a déjà échoué, j’en ai la certitude... Nation et armée ne sont qu’un. » On sait de quel côté s’est produite cette tentative que M. le Président de la République a si sévèrement, mais si justement condamnée, et nous n’y insisterons pas. Le sentiment public en avait déjà fait justice, sans attendre les paroles officielles qui ont été néanmoins les bienvenues. Les journaux de Marseille ont rendu compte de l’émotion et de l’enthousiasme de la foule au moment où nos soldats abandonnaient le sol de la patrie. On a beau dire et beau faire, il y a dans les masses populaires un instinct auquel elles ne résistent pas, et qui les porte à exprimer leur sympathie ardente et profonde à ceux qui, sortis d’elles, vont défendre au loin les intérêts ou l’honneur du pays. Cette sympathie a fait explosion à Marseille. On raconte qu’un député socialiste, qui assistait à ces manifestations sans y rien comprendre, en a montré de l’étonnement, et qu’il a cru en trouver la cause dans l’atavisme, c’est-à-dire dans la persistance de la barbarie primitive. Nous croyons, en effet, que l’atavisme y est pour quelque chose, mais qu’il faut l’entendre autrement. Il y a entre les générations successives un lien qui les rend solidaires les unes des autres, héritières de leurs espérances, de leurs efforts, de leurs douleurs, et qui fait de la tradition transmise des plus anciennes à celles d’aujourd’hui quelque chose de toujours actif et vivant. Ce sont là les titres de noblesse d’une nation qui n’est pas née d’hier : malgré ses égaremens et ses défaillances partielles, notre démocratie n’est pas disposée à les renier. A l’exemple de M. le Président de la République, les Conseils généraux, soit dans les discours de leurs présidens, soit par des ordres du jour motivés, ont envoyé à notre armée d’Extrême-Orient le salut de la patrie lointaine, toujours présente à leur cœur. L’un d’eux, toutefois, a cru devoir y ajouter un vœu : c’est celui de l’Yonne. Il a exprimé le regret de voir se rouvrir les guerres de religion. Convaincu que les missionnaires