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Henri ramenait de la gare d’Amboise, dans le phaéton. Rose, une gamine encore avec ses treize ans éveillés, fit demi-tour, et courant à la porte-fenêtre, dans l’envolement de ses cheveux blonds et de sa courte jupe de soie bleue : « Les voilà ! Venez vite !… » Henri, très fier, en adolescent pour qui tout est triomphe à l’entrée de la vie, arrivait à toute allure. Il décrivit une savante courbe méditée d’avance, arrêta d’un coup de main trop brusque son cheval ruisselant, tant il l’avait mené bon train.

Poncet, grognon d’avoir manqué la messe de mariage : — « Impossible de quitter Tours ! Une séance qui n’en finissait pas ; vingt personnes à entendre ! » — s’élançait déjà vers Marie. Mains aux épaules, avant de l’embrasser, il la contempla, le temps de recueillir en lui l’image délicieuse de ce frais visage dont le teint diaphane et les yeux candides resplendissaient d’une félicité grave. Elle rendit tendrement le baiser, devinant ce que contenait l’étreinte silencieuse de ce vieil homme qui l’aimait : mélancolie des circonstances, ardens souhaits d’avenir.

— Ah bien ! tonton, vous faites un joli témoin ! s’exclama Marcelle, petite personne décidée en qui le sens pratique se mêlait de façon piquante à la grâce de la seizième année.

— C’est le cousin Maurice qui vous a remplacé, déclara Rose d’un ton de reproche espiègle.

On sortait en hâte du salon, Mme Poncet la première, puis les jeunes, puis les vieux. Sur le vaste perron, ainsi groupés devant la façade du château, c’était un beau spectacle que celui de cette grande famille unie, si diverse et si saine, pleine de force et de simplicité : les deux ancêtres, Jean Réal et sa femme, dominant de leurs têtes blanches, de leurs troncs desséchés, robustes encore, les rejetons pressés de la double lignée des Réal et de leurs cousins les Réal de Nairve, seize parens de souche commune, avec cette variété des âges et des caractères, ce fonds identique qui est le patrimoine de la race, vertus et défauts inhérens à cette riche terre maternelle, à cet air subtil de Touraine.

Poncet, entouré, fêté, ne savait à qui entendre. Depuis quinze jours, il vivait dans la fournaise, sans avoir pu trouver une heure où venir embrasser les siens, goûter quelque repos dans ce doux paysage de Charmont, au milieu de figures chères. Il baisait le front du grand-père et les vieilles joues de Marceline, dont les traits ridés avaient une gaie sérénité d’enfant. Il serrait les mains d’Eugène, — son rayonnement était touchant, — de