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virile promenade qu’il y fit soudainement, en la quatorzième nuit de son règne, pour s’enquérir d’un accident de chemin de fer, prouve qu’il n’est point homme à redouter de s’y aventurer.

Un hygiéniste de Rome, observateur minutieux des détails économiques, M. le professeur Angelo Celli, vient de consacrer à ce grandiose désert une monographie toute pleine de constatations lugubres. Tout proche de Rome la chaumière est un luxe : en 1881, pour 12 374 personnes, il y avait dans la campagne romaine 556 abris ; et le nombre, depuis vingt ans, en a diminué. Le nouveau système de « colonisation interne, » dont on avait attendu quelques avantages pour les familles de travailleurs, leur assure, hélas ! en guise de revenu, une dette de 45 francs après le première année de labeur, de 03 francs après la seconde, de 60 fr. 70 et de 6 fr. 10 d’intérêts après la troisième, et ne leur laisse quelque profit qu’à partir de la quatrième année, un profit qui, généralement, déduction faite des dettes à payer, s’élève, pour trois cent soixante-cinq jours de peine, à un peu plus de 8 francs ! Malade, ce travailleur vient à l’hôpital, à Rome ; et jusqu’à ces derniers temps, jusqu’à ce que fût voté un misérable crédit de 111 000 francs, nécessaire pour indemniser les hôpitaux romains, la commune natale du pauvre hère, à laquelle ces hôpitaux avaient recours, se remboursait elle-même en vendant aux enchères le lambeau de terre ou le baudet que l’infortuné malade possédait peut-être encore. La fièvre sévit parmi ces essaims de travailleurs, et l’on marchande la quinine. La viande est presque inconnue ; parfois, avidement, on peut tailler quelques morceaux sur les membres à demi mortifiés du cheval qu’une mouche charbonneuse vient d’abattre, et l’on est glouton d’une pareille viande. Telle est la campagne romaine au seuil du XXe siècle. Cent ans en arrière, on voit planer sur ses mornes étendues quelques commencemens d’espérance, grâce aux admirables lois agraires du pape Pie VII ; aujourd’hui l’espoir même sommeille. Les essais de plusieurs législateurs, M. Piacentini en 1872, M. Balestra en 1875, M. Vitelleschi en 1883, n’ont pu améliorer la situation de l’Agro romano ; et c’est un professeur de l’Université de Breslau, M. Sombart, qui a osé écrire, dans un livre dédié pourtant au ministre Farini, qu’ « à peine on rencontre pareille misère dans les pays les plus barbares et les plus incultes de la terre. » D’être plus longuement l’impuissant tuteur de semblables infortunes, c’est ce que ne peut assurément