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française dont il n’y a presque pas un « jugement » qui ne soit faussé par le mépris absolu de la chronologie. Ni les Anglais, ni les Allemands, pendant longtemps, n’en ont témoigné plus de respect ; et, comme on ne pouvait sans doute « comparer » les littératures entre elles avant qu’on eût drossé de chacune d’elles des inventaires méthodiques à peu près complets, la « littérature comparée, » manquant de ces inventaires, a donc longtemps manqué de son point d’appui, pour ne pas dire de sa base même. Il en est autrement de nos jours. Nous possédons l’histoire particulière et nationale de presque toutes les grandes littératures modernes. Des Français ont même écrit des Histoires de la littérature anglaise, et des Anglais, des Allemands surtout, de fort bonnes Histoires de la littérature française. On a fait un pas de plus, et, — conformément à l’exemple qu’en avait donné jadis Henry Hallam, dans son Histoire des Littératures de l’Europe depuis 1500 jusqu’en 1700. mais en essayant de composer ce qu’il s’était contenté de juxtaposer, — on a commencé « d’atteler à trois ou à quatre, » si j’ose ainsi dire, et de faire marcher de front l’histoire de plusieurs littératures à la fois. Tels, en Allemagne, Hermann Hettner[1], ou, en Suisse, Marc Monnier[2], l’un des premiers, je crois, qui ait professé en Europe la littérature comparée ; et tels encore en Angleterre les cinq ou six collaborateurs qui, sous la direction de M. G. Saintsbury, l’un de nos meilleurs historiens anglais de la littérature française, ont entrepris tout récemment de nous donner en douze volumes, sous le titre de Periods of European Literature, une véritable histoire de la littérature européenne[3].

Je signalerai encore, dans le même ordre d’idées, l’intéressant opuscule de M. Louis P. Betz : la Littérature comparée, Essai bibliographique[4], avec une introduction de M. J. Texte. M. J. Texte, — que la mort vient de nous enlever, — était en France, à l’heure actuelle, et depuis quelques années déjà, l’homme le plus capable de populariser, je ne dis pas de vulgariser, ce genre

  1. Literaturgeschichte des achtzehnlen Jahrhunderts, von Hermann Hettner, 3e édition, 5 vol. in-8o ; Brunswick, 1872, F. Vieweg.
  2. Histoire générale de la Littérature moderne, par Marc Monnier, doyen de la Faculté des Lettres à Genève, t. I, la Renaissance, de Dante à Luther ; Paris. 1884, F. Didot, et t. II, la Réforme, de Luther à Shakspeare ; Paris, 1885, F. Didot.
  3. Periods of European Literature, edited by professer Saintsbury : a complete and continuons history of the subject, 12 vol. in-8o ; Londres, W. Blackwood.
  4. In-8° ; Strasbourg, K. Trübner, éditeur, 1900.