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pertes sérieuses en hommes, en munitions, en chevaux surtout, ce qui l’atteignait dans l’une de ses forces vives, sa cavalerie ; sa confiance en lui-même paraissait notablement ébranlée ; après avoir pillé tant et tant de pays, il ne savait plus guère où mener ses sofas pour les ravitailler ; mais son inépuisable astuce et l’extraordinaire mobilité de ses mouvemens ne permettaient jamais d’être renseigné sur ses intentions, ni de faire aucun fonds sur celles qu’on se croyait en droit de lui attribuer.

De là deux écoles ou, si l’on veut, deux tendances dans le personnel colonial : du côté de la Côte d’Ivoire, colonie essentiellement « civile, » on était porté à penser que Samory avait principalement en haine l’uniforme des officiers français, et que de simples administrateurs, n’éveillant pas chez lui le souvenir des combats antérieurs, auraient des chances sérieuses de l’amener à composition durable ; au Soudan, où dominait l’élément militaire, on considérait avec un dédain très peu déguisé toute tentative de rapprochement, on surveillait avec une méfiance très justifiée par le passé les exodes fréquens de l’almamy, et l’on se tenait prêt sinon à l’attaquer, du moins à repousser ses agressions. Entre ces deux partis et ces deux systèmes, le pouvoir central n’avait pas à choisir de propos délibéré : dans un temps où sa préoccupation principale était de faire face aux compétitions allemandes ou anglaises, son devoir étroit consistait à n’ajouter aucune complication à une situation déjà infiniment délicate ; il lui incombait de maintenir le Soudan dans sa position défensive, jusqu’à ce qu’on eût tiré au clair les espérances de la Côte d’Ivoire.

Il s’y appliqua en effet. Vers la fin de 1895, Samory avait conduit ses bandes dans le Bondoukou, à proximité de la frontière de la Côte d’Or anglaise, que certains l’accusaient même d’avoir franchie. Si la politique britannique était vraiment dominée par les aspirations morales et humanitaires que lui prêtent si volontiers les publicistes anglais, la voie à suivre eût été tout indiquée : une entente entre les diverses colonies européennes intéressées eût rapidement permis d’enserrer Samory et de débarrasser l’Afrique occidentale de ce redoutable fléau. Mais chacun sait que l’Europe est divisée contre elle-même, et ne se soucie guère de faire front contre l’ennemi commun. Force était donc pour la France d’agir avec ses seules ressources.

En mars 1896, sur la foi de renseignemens recueillis par