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Page:Revue des Deux Mondes - 1900 - tome 161.djvu/395

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II

Quand un Japonais cultivé vous parle du shintoïsme, il ne le fait souvent qu’en termes vagues et dédaigneux ou de l’air contraint d’un parvenu à qui l’on rappelle sa modeste origine. Mais, si l’on songe que ce même homme éprouve une égale répugnance à vous introduire chez lui et que sa politesse consiste à rabaisser tout ce qui lui appartient et lui tient au cœur, on devine, sous cette religion restaurée en culte officiel pour les besoins de la politique, une épargne de sentimens et de traditions qui lui sont d’autant plus chers qu’il les dissimule ou feint de les mépriser. Le shintoïsme n’est pas seulement le culte de la majesté impériale : c’est la religion du nationalisme japonais. C’est aux temples shintoïstes, aux mya, que l’on porte les nouveau-nés, et quand l’invisible dieu passe dans sa dentelle virginale, c’est le gohei shintoïste qui décide de leur prénom. L’enfant pourra suivre plus tard la doctrine de Confucius ou les mirages d’Amida ; il pourra même répondre aux appels des religions étrangères ; mais il a été consacré shintoïste, et les anciens dieux du pays l’ont si bien possédé que son âme en garde à tout jamais l’orgueilleuse et naïve empreinte.

Un Japonais, d’un esprit très libre, mais très conservateur, me disait un jour : « Nous sommes tous shintoïstes, et vous-même, monsieur, qui m’entendez, vous l’êtes comme nous. J’ai vu partout en traversant la France, dans les mairies, les collèges, les tribunaux, des bustes de la République : voilà votre shintoïsme ! » — « Il a ce désavantage sur le vôtre, lui répondis-je, que nous en changeons quelquefois. » — « En effet, me dit-il : un de mes vieux amis qui connut la France en 1869 me rapporta que votre shintoïsme avait alors des moustaches. C’est le danger des symboles à figure humaine. Notre simplesse eut peut-être plus d’esprit que votre haute culture ; et notre shintoïsme, avec sa pierre précieuse, son sabre et son miroir, est assuré de vivre tant que les Japonais aimeront la finesse, l’honneur et leur propre visage. » Et il reprit dans un sourire qui dilatait sa face glabre et lunaire : « Il faut respecter ce miroir, monsieur ! Le Japon s’y contemple et s’y trouve beau. »

Acceptons la boutade, et, curieux de ce miroir sacré, tâchons d’y saisir les caractères primitifs et permanens où l’âme japonaise se manifeste, s’admire et s’enchante.