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À cette sorcellerie crépusculaire l’art vint mêler sa magie lumineuse. Tout l’art du Japon sort du bouddhisme. Les bonzes furent ses sculpteurs, ses peintres, ses poètes, ses musiciens, ses potiers, ses tisserands, ses jardiniers. Des arabesques du temple aux hiéroglyphes de la pierre, des fresques sacrées aux derniers livres d’images, des récitatifs dramatiques aux chansons des rues, des laques d’or aux ustensiles de ménage, des soies brochées aux simples cotonnades, des parcs seigneuriaux aux jardins en miniature, le génie japonais n’a rien produit qui n’évêque une légende, n’illustre une pensée, ne décèle un sentiment bouddhiste. Et cet art, comme il aiguise la finesse de nos sens ! Comme il sait mettre dans un rien le miracle de la vie ! Comme il saisit au passage ce qu’on ne voit pas deux fois mais ce que, l’ayant vu, on reverra toujours ! Impressionnisme, si l’on tient aux formules. Et cependant sous cet impressionnisme quelle vision exacte des types permanens ! L’artiste japonais cherche à dégager des illusions éphémères le principe même de ces illusions. Son coup d’œil ne perçoit dans l’individu que les traits qui le distinguent des autres espèces. Il ne retient de la forme que la loi visible du genre, l’idée apparente de la nature dont tous les hommes, dans tous les temps, seront pareillement impressionnés. Il fait rendre à la sensation ce que son inachevé peut contenir d’infini. L’art bouddhiste entretient chez les Japonais une sensualité fine et douce, juste assez pour que leurs sens les induisent à penser que les réalités les plus précieuses sont des mirages.

Parfums, laques d’or, brocarts, pénombre enflammée des temples, peinture évocatrice, poésie de lueurs et de frissons, richesse des objets souvent en désaccord avec leur importance : stimulans de rêves, aiguillons de mélancolie ! Le shintoïsme avait répandu sur la nature toutes les séductions sauf une, que les disciples de Bouddha révélèrent aux Japonais : la fragilité. Elle leur devint encore plus chère, cette nature, du jour qu’ils la sentirent si périssable, et plus belle quand ils comprirent que leurs yeux en faisaient la beauté. Emportés à la dérive des apparences, ils apprirent à en goûter les éclairs et les caresses. Ces caresses fugitives, ces éclairs si tôt évanouis ne valent que par l’esprit qui en répercute et en prolonge la lumière et la douceur. Ils arrêtèrent toute leur âme sur des instantanés. La réalité ne fut plus pour eux qu’une électricité mystérieuse dont les petites étincelles communiquaient à leurs songes des vibrations infinies. Et, comme