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lui serait coupée. Toutefois elles lui donnaient à choisir, de les enterrer ou de les jeter à la rivière. La fille, qui comptait sur sa rente pour payer ses dettes, consentit au sacrifice. Le soir venu, elle se glissa dans un champ, mais, prise de terreur, elle abandonna le trou commencé et courut d’une haleine jusqu’au torrent où, les yeux fermés, elle lança, les âmes de ses père et mère. On la vit. Le village connut la profanation. Personne n’avait jugé mauvais qu’elle se fît chrétienne, mais, de ce jour, tout le monde s’éloigna d’elle, et les enfans même évitèrent la réprouvée. Cependant les diaconesses, lasses de prêcher au désert, dirent à leur convertie : « Nous allons partir, et, maintenant que vous voici tout à fait chrétienne, vous comprendrez que nous réservions nos faibles ressources aux progrès de notre œuvre. » La fille fut atterrée. Elle revint trouver les dames et leur expliqua sa situation, et que, pour payer ses dettes, n’ayant plus que son corps qui lui appartînt, elle serait sans doute obligée de le vendre. Les Anglaises se récrièrent d’horreur, comme si les démons de la luxure les eussent assaillies. « Allez-vous-en, nature abominable ! fille perdue ! » La pauvre fille sourit, salua jusqu’à terre, et s’en alla tout droit à la maison de joie. Mais, bien qu’elle fût jolie, on ne voulut point l’y recevoir, car on savait son crime, et tous les hommes eussent déserté l’hôtellerie d’amour si l’enfant sacrilège en avait passé le seuil. Elle dut poursuivre sa route jusqu’au Yoshiwara d’une ville lointaine, où elle tremble encore qu’un hôte de son pays l’y reconnaisse un jour...


ANDRE BELLESSORT.