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qui butinait le suc de toutes les fleurs pour le répandre sur ses boïars. »

Siméon avait installé sa capitale à Preslav-la-Grande, autrefois Marcianopolis, aujourd’hui Eski-Stamboul, naguère encore misérable village de trois cents masures, perdu au milieu de ruines immenses. Là, dans un mélange de byzantinisme raffiné et de luxe barbare, il cherchait à imiter de loin l’imposante étiquette de la cour hellénique et la splendeur monumentale de Constantinople. Si imparfaite que fût cette imitation, elle suffisait à émerveiller ses sujets. Jean l’Exarque, dans la préface de son Tableau de la Création, s’abandonne à une description enthousiaste de Preslav-la-Grande :

« Celui qui, arrivant de loin, entre dans la première cour du palais tsarien reste surpris ; lorsqu’il approche des portes, sa surprise se traduit en questions multipliées. Entre-t-il dans la cour intérieure, il voit, des deux côtés, de splendides bâtimens, construits en pierres, revêtus de bois polychromes. Il voit de hauts palais, des églises, avec des sculptures de pierre et de bois, des peintures sans nombre ; à l’intérieur, tout resplendit de marbre, de bronze, d’argent et d’or, avec un tel éclat qu’on ne sait où aller chercher des points de comparaison. Car l’étranger, dans son pays, n’a peut-être vu que de misérables huttes couvertes de chaume. D’admiration, il reste muet, comme pétrifié. Que s’il entrevoit le prince, quel spectacle ! Le prince trône en vêtemens brodés de perles, avec des colliers de monnaies à son cou, des bracelets aux poignets, ceint d’une ceinture de pourpre. A ses côtés siègent ses boïars décorés de chaînes d’or, de ceintures et de bracelets précieux. De retour chez lui, l’étranger, si on l’interroge sur son voyage : « Qu’as-tu donc vu là-bas ? » répond : « Je ne sais comment vous raconter tout cela : vos yeux seuls pourraient vous donner l’idée d’une telle splendeur ! »


V

Siméon avait désigné pour lui succéder le plus jeune de ses fils, Pierre, un enfant en bas âge, exposant ainsi son empire à tous les risques d’une longue minorité. En présence des Madgyars et autres nomades toujours menaçans sur la frontière danubienne, des roitelets serbes et croates courant aux armes, des