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députés ne sont plus à son image ; les élections communales s’imposent. Voyons, Thédenat, ne sentez-vous pas que la justice, le vrai patriotisme, sont du côté du peuple qui travaille et souffre, du peuple qui, lui, veut véritablement se battre et réclame la sortie en masse ? L’Association Internationale des travailleurs, la Fédération des sociétés ouvrières, c’est de là que part le plus sincère élan de la résistance. Le cerveau de Paris n’est pas à l’Hôtel de Ville, dans le Salon jaune ; il est dans ce pauvre troisième étage de la place de la Corderie, au Comité central des vingt arrondissemens !

Thédenat l’écoutait avec une sympathie mêlée de doute. Dix-huit ans d’exil, loin d’émousser les convictions de son vieux camarade, en avaient aiguisé le tranchant. C’était cette même verve qui rendait si vigoureux ses pamphlets de Bruxelles et de Genève, plus âpre encore.

— Non, Jacquenne. Je ne sens pas que le vrai patriotisme soit de faire de la politique sous le canon prussien. Et Dieu sait si j’aime ce peuple si vivant, si intelligent, quelle foi j’ai dans son idéal de justice et de liberté ! Mais tenez ! Hier, quand on criait sur la place : Vive la Commune ! notre ami le général Tamisier fit signe de prêter l’oreille à la voix des canons ennemis. — « Elle parle assez haut, a-t-il dit, écoutez- ! » J’ajoute, moi : — Tant qu’elle parlera, qu’on se taise !

Jacquenne reprit :

— J’admets. Alors, que le gouvernement fasse son devoir ! Au lieu de se borner à des proclamations ronflantes, à des hochemens d’encens sous le nez de la garde nationale, qu’il utilise les forces innombrables dont il dispose ! Qu’on se batte pour de bon ! Pourquoi a-t-on abandonné, après la débâcle honteuse de Châtillon, toutes les hauteurs du Sud-Est, cette ligne de redoutes commencées qui eût éloigné d’autant le cercle tonnant dont vous parlez, pour essayer de les reprendre, quand on a vu que les Allemands n’entraient pas le lendemain dans Paris, comme un couteau dans du beurre, selon le mot de Crémieux ? Cette réoccupation du plateau de Villejuif, belle victoire, ma foi ! Les ouvrages étaient vides. Et Chevilly, on prend soin de prévenir l’ennemi par une canonnade, on sort, le général Guilhem se fait tuer, oui, bravement. Mais à quoi ça sert-il ? une reconnaissance sans autre résultat que plus de 2 000 tués ou blessés, un mouvement dont la retraite est ordonnée d’avance ! Et Trochu !