Page:Revue des Deux Mondes - 1900 - tome 161.djvu/477

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

sera surveillé et gardé. Pékin évacué, mais relié par une voie rapide à Tientsin, c’est-à-dire à une armée qui sera dans peu de jours dix fois plus nombreuse qu’elle ne l’est aujourd’hui, pourra, plus convenablement dans la forme, servir d’asile au gouvernement impérial, mais n’en restera pas moins à la discrétion absolue des alliés. Et c’est pour cela que la proposition russe, si même elle était acceptée par toutes les puissances, ne nous paraîtrait de nature à enlever à celles-ci, dans les négociations prochaines, aucun des moyens d’action sur lesquels une écrasante supériorité militaire leur permet toujours de compter.

Nous parlons de cette proposition sans aucun parti-pris. Lorsque nous l’avons connue pour la première fois, d’une manière un peu prématurée peut-être et par une indiscrétion du gouvernement américain, nous en avons éprouvé l’impression de surprise qu’elle a généralement causée partout. On ne s’y attendait pas ; personne n’avait pensé que Pékin pût être évacué si vite. Mais peu à peu les préventions se sont dissipées : nous savons plutôt gré aujourd’hui au gouvernement russe d’avoir pris une initiative que lui seul pouvait prendre, parce qu’il était celui de tous qui avait le plus d’intérêts engagés au nord de la Chine, et que nous devions être les premiers à accueillir, parce que nous étions celui qui en avait le moins. Les puissances qui résistent, ou qui hésitent encore en présence de la politique russe, expliquent cette politique par la situation particulière où se trouve la Russie à l’égard de la Chine. Il est conforme aux traditions de la Russie de ménager le Céleste Empire. La Russie et la Chine ayant une frontière commune extrêmement étendue, la guerre et la paix ont entre elles et pour elles une importance plus grande que pour les autres puissances. De plus, le développement politique et économique de la Russie, toujours croissant au nord de l’Asie, a tout à gagner au maintien de la paix. La situation même de la capitale chinoise à proximité des provinces russes est une circonstance favorable à l’influence prépondérante du cabinet de Saint-Pétersbourg, et on comprend que celui-ci éprouve une certaine inquiétude lorsque le gouvernement chinois quitte Pékin pour aller on ne sait où, peut-être dans des provinces où d’autres influences que la sienne pourraient plus facilement s’exercer sur lui. Cet état de fait, s’il se prolongeait, n’aurait rien pour lui plaire. Voilà ce qu’on dit, et certains journaux étrangers partent de là pour accuser le gouvernement russe d’avoir rompu, ou du moins compromis l’entente des puissances par son égoïsme, c’est-à-dire par la préoccupation exclusive de ses seuls intérêts. Tel n’est pas notre sentiment. Nos intérêts, à nous, sont trop fai-