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LES TRONÇONS DU GLAIVE.

enlève une petite réserve d’élite. Ils sont huit cents : mobiles des Côtes-du-Nord, francs-tireurs de Tours et de Blidah, volontaires de l’Ouest. Ces derniers, sous Charette, s’appellent dans l’histoire les Zouaves pontificaux, vieux soldats volontaires, complétés de recrues, qui bien vite se sont pénétrés de l’esprit des anciens. Poignée d’hommes, qui est le plus éclatant témoignage de ce que peut, sur des âmes droites, un haut idéal. Ce sont des croyans. Et parce qu’ils ont l’ardeur profonde de la foi religieuse, ils ont le culte du sacrifice dans ce qu’il a de plus élevé, l’offrande entière à la patrie. Les mobiles à droite, les francs-tireurs à gauche, les zouaves au centre accompagnés de leurs aumôniers, tous s’élancent. Immédiatement après les tirailleurs, Sonis et Charette suivent à cheval. Le fanion du général, âme pieuse et mystique, est une bannière de soie blanche où le Sacré-Cœur est brodé. Vers Loigny, qui à douze cents mètres crache balles et mitraille, et où dans le cimetière quelques lignards du 37e tiennent encore, la charge fonce, à la baïonnette. Sa ligne irrésistible balaye le terrain découvert, une ferme, des boqueteaux. Bien des héros tombent. Le rang se serre, la charge avance. Sonis, une cuisse brisée, roule à terre. Le cheval de Charette s’abat. La charge avance. Elle emporte les premières maisons de Loigny, mais le général de Treskow masse sa dernière réserve et, sous un feu meurtrier, l’assaut tourbillonne et reflue. La bannière blanche, quatre fois abattue, aussitôt relevée, passe de main en main. Le porte-étendard Verthamon tué, Bouille tué, son fils tué, Cazenove blessé, la hampe sanglante s’érige aux mains du sergent de Traversay. L’admirable petite troupe bat en retraite, et à peine poursuivie, parcourt fièrement le calvaire semé de ses morts. Partis trois cents, les volontaires de l’Ouest sont soixante-quatorze. Loigny, dans la nuit tombée, brûle toujours. Çà et là quelques fermes fument comme de grandes torches. Les premiers flocons de la neige voltigent. Le 16e corps s’écoule en désordre. C’est la retraite, morne, éreintée, grelottante. Les cœurs fléchissent. Le sourd roulement de l’artillerie qui se retire au galop ébranle les routes sonores, augmente l’effroi.


Deux nuits après, si énervé qu’il ne pouvait dormir, Louis, debout, les tempes battantes, contemplait Guyonet ronflant, renversé sur un dossier de fauteuil. Sangbœuf, rouge de contention, était penché à la lueur de deux bougies au-dessus de