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proclamait la suprématie de la loi divine sur les lois humaines, et en termes dont la netteté n’a jamais été dépassée : « Il n’y aura pas une loi à Rome et une autre à Athènes, une aujourd’hui et une autre demain ; mais la même, éternelle et immuable, régnera sur tous les peuples dans tous les temps, et celui qui a voulu, révélé, promulgué cette loi, Dieu, sera le seul maître commun et le souverain monarque de tous[1]. »

Certes, une raison capable de ces efforts n’est pas impuissante, et, s’il y a à s’étonner, c’est qu’elle ait, par sa seule lumière, tant éclairé du grand inconnu. Mais si la philosophie a donné au genre humain ces témoignages en faveur des vérités qu’il cherche, ils ne suffisent pas.

La philosophie a pour guide unique la raison. Or les systèmes contraires où les écoles parviennent et s’obstinent, prouvent que cette raison est faillible. Et cette évidence de fragilité jette une suspicion même sur les doctrines que cette science consacre par son témoignage unanime. Elles ne sont que des hypothèses qui paraissent vraies à une majorité de savans et de sages. Des probabilités ne suffisent pas à l’humanité quand il s’agit de son sort. Il lui faut des certitudes.

La philosophie est lente. Elle demande à ses adeptes tant d’examens et de recherches qu’ils n’ont pas trop de leur vie pour s’expliquer la vie. Or combien d’hommes ont l’esprit assez puissant pour trouver par leurs propres forces la vérité ? Combien ont leurs jours assez libres pour faire de cette recherche leur unique profession ? Combien disposent assez des événemens pour ne pas accomplir d’actes avant d’avoir déterminé ce que ces actes doivent être ? Au commun des hommes la pénétration manque comme la science pour se livrer à de telles recherches, le travail subalterne de vivre ne laisse aucun loisir pour chercher les lois de la vie, et ils ne sauraient attendre au lendemain pour connaître leur devoir de chaque jour.

La philosophie ne se considère pas comme ayant charge d’enseigner la vérité à tous. Ses adeptes, même dans les plus célèbres écoles, n’ont jamais formé que des sociétés restreintes et fermées. C’est entre eux, c’est pour eux qu’ils ont pensé, uniquement soucieux de flotter dans leur petite arche sur le déluge d’ignorance qui engloutit le reste des créatures. Aucune école ne

  1. Cicéron, De Republica, I, 3, 16. Cf. op. cit., I. II. p, 16, 17 et sqq.