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LES TRONÇONS DU GLAIVE.

Thérould était de ces intransigeans qui n’estimaient pas payer trop cher des malheurs de la France l’écroulement de l’Empire. Il poursuivait les rois d’une inimitié personnelle, ne jurait qu’anarchie, république universelle. Non qu’il eût des convictions réfléchies, mais il avait pâti de l’insuccès et de la pauvreté, il était de ces cervelles creuses que toute aristocratie offusque ; sa vanité puérile prenant à la lettre les excitations révolutionnaires, il jugeait que places, gloire, honneurs, la société les lui volait, devait les lui rendre un jour. Au demeurant, excellent diable, très gai, tournant à tous vents, dangereux seulement quand il avait bu. Il déploya des journaux, une affiche vert tendre qui appelait les femmes aux armes, et lut :

— Les Amazones de la Seine. Hein ! Nini,… « pour rendre aux combattans tous les services domestiques et fraternels compatibles avec l’ordre moral et la discipline militaire. »

Elle eut un franc éclat de rire.

— Ce n’est pas tout, Nini, tu peux te signaler par des services plus éclatans encore. Suppose que les Prussiens entrent à Paris ; ils te trouvent gentille et veulent te le dire. Tu leur tends un doigt ; au bout de ce doigt il y a un dé, dans ce dé de l’acide prussique : Prussique ! Admire la coïncidence ! Tu piques, le Prussien tombe foudroyé. Plusieurs s’approchent, mais toi, tu te dégages, tranquille et pure, laissant à tes pieds une couronne de morts.

— Que c’est bête ! fit Nini, choquée.

— Très bon moyen, affirma Thérould, préconisé par le citoyen Allix. — Il frappa sur ses journaux : — J’ai là des choses étonnantes : le feu grégeois retrouvé, les pareballes qu’on pousse devant soi comme des brouettes. Nous avons encore l’inondation des égouts par un bras de la Seine, avec un appât irrésistible pour y attirer l’armée allemande ; la manière de prendre les obusiers au piège comme des éléphans. Ça vous fait tordre ? Du sérieux, maintenant. J’en ai pour tous les goûts. Des documens de première marque, des pièces pour l’Histoire ! Il montra un Bulletin des Municipalités tout chiffonné. Voilà l’immortelle proposition de Courbet — saluez ! — demandant que la colonne Vendôme soit déboulonnée, les rues portant des noms de victoires ou de généraux débaptisées comme coupables de perpétuer « le souvenir et l’idée anti-démocratique de la guerre ! » Voici le Combat de jeudi, ce que j’appelle « le bon Combat » du citoyen Félix Pyat,