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tion juste. Un besoin de dévouement le saisit : se rendre utile.

« Tâchons de sortir ! Si je pouvais rejoindre mon bataillon ! » Comment s’orienter ? Un dédale de pièces, de corridors, de galeries. Quel escalier prendre ? Après bien des crochets et des détours, il atteignait le rez-de-chaussée, puis une cour. Les tirailleurs de Tibaldi gardaient la porte, visaient brutalement les laissez passer. Il dut revenir sur ses pas. Et toujours cette foule d’hommes armés, ces faces de colère, de méfiance, de triomphe ; des meneurs fanfarons, de pacifiques gardes nationaux ébahis d’être là ; et ces profils sinistres qui surgissent des troubles, et ces badauds incorrigibles dont la présence obstinée sanctionne les révolutions. Mais Thérould ? Où pouvait-il être ? Martial pénétrait dans l’immense salle du Trône, envahie comme le reste, quand il croisa Jacquenne, portant haut la tête, d’un air grave et mécontent. Allait-il sauver la République ? Une horloge au mur marquait sept heures et demie. Il s’étonna, ayant perdu la notion du temps. Quelqu’un lui prit le bras. — C’est vous, Méjean ? fit-il en reconnaissant un employé des Archives, petit homme rageur, ancien militaire. D’où sortez-vous ? — De là, dit Méjean, en désignant un couloir sur lequel donnaient les bureaux des adjoints et des secrétaires. Il haussa les épaules, et, baissant la voix, il attira Martial dans une embrasure :

— Vous n’imaginez pas ce qui se trame ! Il paraît que le gouvernement, avant d’être tout à fait envahi, a accordé, sur la requête des maires, les élections municipales, sans fixer de date. Dorian vient d’arriver chez Étienne Arago, et supplié de tous côtés, il a signé avec le patron, Schœlcher, Floquet et Brisson, un décret fixant le scrutin à demain. L’affiche vient de partir à l’imprimerie. On croit tout sauver ainsi ! On ne fait que céder à l’émeute, sans bénéfice aucun… Il parlait d’un jet, trouvant enfin quelqu’un à qui se confier : — Au lieu de masser quelques bons bataillons, qui enfonceraient les portes et nettoieraient la salle du Conseil ! Le gros Picard, dès le début, s’est esquivé à l’anglaise. Malin comme il est, j’espérais qu’il nous enverrait la garde. Rien encore ! Et dire qu’on était averti depuis hier ! Étienne Arago avait prévenu Adam, le préfet de police… Et ce jobard de Trochu qui a fait retirer les postes de mobiles, quand il a vu que ça se gâtait ! Pas de coups de fusils, pas d’effusions de sang ! La force morale ! Une bonne blague. Quand on pense que, si l’on voulait, par les souterrains…