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était sujette aux mêmes accidens de dérive, occasionnés par les vents et les tempêtes, et soumise aussi à un mouvement général de translation. C’est grâce à cette dérivation d’ensemble que le navire a pu sortir, au bout de treize mois, de sa prison glacée et trouver, devant lui, la mer libre, dans la région occidentale.


III

Les circonstances ont fait que l’expédition belge, engagée peu profondément dans la banquise, s’est trouvée en présence de la faune et de la flore d’une zone marine côtière. Le climat y était très rude : le ciel presque toujours couvert, le froid humide, le vent continuel. Rarement avait-on une belle journée, où l’horizon se dévoilait et où le ciel apparaissait pâle et bleu.

C’est quand le vent soufflait du Sud, c’est-à-dire du pôle vers la mer libre, que se produisaient ces rares momens de détente. Dans ces journées ensoleillées, les explorateurs jouissaient du spectacle saisissant qui s’offrait à leurs yeux. A perte de vue, c’est une nappe d’une blancheur éblouissante, où scintillent les cristaux de la neige tombée les jours précédons. Sur cette surface, qui, au premier coup d’œil, paraît unie, bientôt des plans se dessinent : des ombres douces marquent des collines arrondies formées par les amas de blocs de fracture, dont la neige a comblé les intervalles. C’est ce que l’on appelle les hummocks. Des lignes sombres et zigzaguantes découpent la blanche surface. Ce sont des chenaux qui apparaissent entre les champs de glace ; ceux-ci en effet, ayant cessé d’être poussés les uns contre les autres par le vent de mer, se disjoignent et découvrent l’eau où ils surnagent. Une glace nouvelle mince, transparente, chétive, d’une teinte verdâtre, recouvre presque aussitôt la couche liquide et ressoude les bords de la banquise fracturée. Quelquefois, lorsque le vent augmente de force, il balaye devant lui la neige la plus récente, ainsi qu’une poussière. Des ondulations se dessinent alors à la surface du champ, reproduisant l’aspect des dunes mouvantes qui se forment, en des circonstances analogues, dans les plaines sablonneuses.

Ce tableau, offert en de rares journées d’été, dure peu. Le vent qui souffle du large y met bientôt fin. La foule des blocs glacés recommence sa poussée habituelle. La nouvelle glace se brise la première ; un bruissement en indique la rupture. Les