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La présence ou l’absence de la couverture de glace des mers polaires ne peuvent avoir qu’un effet insignifiant sur ce résultat. Enfin l’immobilité y est complète. L’agitation de la surface et le mouvement des vagues s’amortissent à quelques mètres de profondeur. Les courans marins sont des phénomènes qui n’intéressent que les couches supérieures ou moyennes. L’eau de l’abîme est donc fixée : elle ne se déplacera plus jamais. Elle ne sera modifiée par d’autres eaux que par la voie des échanges lents dus à l’osmose et à la diffusion. La chute des corps de la surface, ou les mouvemens spontanés des animaux qui y ont fixé leur existence viennent seuls troubler cette monotone placidité.

La population de ce lugubre séjour n’est point, pour parler comme M. Racovitza, la foule des monstres rampans, hideux et sombres ; mais, au contraire, une armée magnifique de hauts et puissans seigneurs, vêtus de riches costumes et armés de brillantes cuirasses. Les uns portent des colliers de diamans, les autres, de lumineux solitaires, d’un éclat amorti. Ils sont, en effet, presque tous phosphorescens ; ils produisent par quelqu’un de leurs organes la lumière qui ne leur viendrait point du dehors. Ce sont des crinoïdes pédonculées, ou Lys de Mer, des Etoiles de mer, des Oursins, des Gorgonides, des Anémones de mer, des Annélides onduleuses, des Crustacés à yeux sessiles, et des Bryozoaires.

Les explorateurs de la Belgica ont opéré des dragages sur le fond pour ramener quelques échantillons de ces espèces benthiques. Et ce fond lui-même n’était, en réalité, un grand fond, que par la réunion de trois, des quatre caractères qui le définissent, à savoir le froid de 0°, l’obscurité absolue, et l’absence complète d’agitation. Ces conditions sont précisément les seules qui interviennent dans l’existence des animaux. Il manquait celui des trois caractères que l’on pourrait être tenté de regarder comme principal, mais qui n’est que la condition ordinaire de l’existence des trois autres : la profondeur. En réalité l’Océan, sous la plaque glacée qui avait emprisonné la Belgica et la promena sur une longueur de mille lieues n’avait qu’une profondeur de 500 mètres. Le fond en était formé par une sorte de plateau qui annonçait déjà l’approche du continent antarctique auquel la banquise faisait une ceinture protectrice. En s’éloignant du pôle vers la haute mer, on trouvait brusquement les